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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/222

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J’étais bien aise de quitter Athènes de nuit : j’aurais eu trop de regret de m’éloigner de ces ruines à la lumière du soleil : au moins, comme Agar, je ne voyais point ce que je perdais pour toujours. Je mis la bride sur le cou de mon cheval, et, suivant le guide et Joseph qui marchaient en avant, je me laissai aller à mes réflexions ; je fus, tout le chemin, occupé d’un rêve assez singulier. Je me figurais qu’on m’avait donné l’Attique en souveraineté. Je faisais publier dans toute l’Europe que quiconque était fatigué des révolutions et désirait trouver la paix vint se consoler sur les ruines d’Athènes, où je promettais repos et sûreté ; j’ouvrais des chemins, je bâtissais des auberges, je préparais toutes sortes de commodités pour les voyageurs ; j’achetais un port sur le golfe de Lépante, afin de rendre la traversée d’Otrante à Athènes plus courte et plus facile. On sent bien que je ne négligeais pas les monuments : les chefs-d’œuvre de la citadelle étaient relevés sur leurs plans et d’après leurs ruines ; la ville, entourée de bons murs, était à l’abri du pillage des Turcs. Je fondais une université, où les enfants de toute l’Europe venaient apprendre le grec littéral et le grec vulgaire. J’invitais les Hydriotes à s’établir au Pirée, et j’avais une marine. Les montagnes nues se couvraient de pins pour redonner des eaux à mes fleuves ; j’encourageais l’agriculture ; une foule de Suisses et d’Allemands se mêlaient à mes Albanais ; chaque jour on faisait de nouvelles découvertes, et Athènes sortait du tombeau. En arrivant à Kératia, je sortis de mon songe, et je me retrouvai Gros-Jean comme devant.

Nous avions tourné le mont Hymette, en passant au midi du Pentélique ; puis nous rabattant vers la mer, nous étions entrés dans la chaîne du mont Laurium, où les Athéniens avaient autrefois leurs mines d’argent. Cette partie de l’Attique n’a jamais été bien célèbre : on trouvait entre Phalère et le cap Sunium plusieurs villes et bourgades, telles qu’Anaphlystus, Azénia, Lampra, Anagyrus, Alimus, Thorae, Aexone, etc. Wheler et Chandler firent des excursions peu fructueuses dans ces lieux abandonnés, et M. Lechevalier traversa le même désert quand il débarqua au cap Sunium pour se rendre à Athènes. L’intérieur de ce pays était encore moins connu et moins habité que les côtes, et je ne saurais assigner d’origine au village de Kératia 67. Il est situé dans un vallon assez fertile, entre des montagnes qui le dominent de tous côtés et dont les flancs sont couverts de