Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/232

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furent obligés de venir se justifier longuement devant leur vainqueur ; ils entendirent ce mot cruel : " Nous avons mis fin à votre courte éloquence ! " Nos brevi eloquentiae vestrae finem imposuimus. Les Spartiates durent s’apercevoir alors combien il eût été avantageux pour eux de n’avoir fait qu’un État de toutes les villes grecques, d’avoir compté Epaminondas au nombre de leurs généraux et de leurs citoyens. Le secret de leur faiblesse une fois connu, tout fut perdu sans retour ; et Philopoemen acheva ce qu’Epaminondas avait commencé.

C’est ici qu’il faut remarquer un mémorable exemple de la supériorité que les lettres donnent à un peuple sur un autre, quand ce peuple a d’ailleurs montré les vertus guerrières. On peut dire que les batailles de Leuctres et de Mantinée effacèrent le nom de Sparte de la terre, tandis qu’Athènes, prise par les Lacédémoniens et ravagée par Sylla, n’en conserva pas moins l’empire. Elle vit accourir dans son sein ces Romains qui l’avaient vaincue, et qui se firent une gloire de passer pour ses fils : l’un prenait le surnom d’Atticus ; l’autre se disait le disciple de Platon et de Démosthène. Les muses latines, Lucrèce Horace et Virgile, chantent incessamment la reine de la Grèce. " J’accorde aux morts le salut des vivants, " s’écrie le plus grand des césars, pardonnant à Athènes coupable. Adrien veut joindre à son titre d’empereur le titre d’archonte d’Athènes, et multiplie les chefs-d’œuvre dans la patrie de Périclès. Constantin le Grand est si flatté que les Athéniens lui aient élevé une statue, qu’il comble la ville de largesses ; Julien verse des larmes en quittant l’Académie, et quand il triomphe, il croit devoir sa victoire à la Minerve de Phidias. Les Chrysostome, les Basile, les Cyrille, viennent, comme les Cicéron et les Atticus, étudier l’éloquence à sa source ; jusque dans le moyen âge, Athènes est appelée l’ école des sciences et du génie. Quand l’Europe se réveille de la barbarie, son premier cri est pour Athènes. " Qu’est-elle devenue ? " demande-t-on de toutes parts. Et quand on apprend que ses ruines existent encore, on y court comme si l’on avait retrouvé les cendres d’une mère.

Quelle différence de cette renommée à celle qui ne tient qu’aux armes ! Tandis que le nom d’Athènes est dans toutes les bouches, Sparte est entièrement oubliée ; on la voit à peine, sous Tibère, plaider et perdre une petite cause contre les Messéniens ; on relit deux fois le passage de Tacite, pour bien s’assurer qu’il parle de la célèbre Lacédémone. Quelques siècles après, on trouve une garde lacédémonienne auprès de Caracalla, triste honneur, qui semble annoncer que les enfants de Lycurgue avaient conservé leur férocité. Enfin Sparte se transforme, sous le Bas-Empire, en une principauté ridicule, dont les chefs