Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/376

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Quant à l’intérieur de cette mosquée, je ne l’ai point vu. Je fus bien tenté de risquer tout pour satisfaire mon amour des arts ; mais la crainte de causer la perte des chrétiens de Jérusalem m’arrêta. Guillaume de Tyr et Deshayes disent quelque chose de l’intérieur de la mosquée de la Roche ; le père Roger en fait une description fort détaillée et vraisemblablement très fidèle 47. .

Cependant elle ne suffit pas pour prouver que l’intérieur de la mosquée de Jérusalem a des rapports avec l’intérieur des monuments moresques en Espagne. Cela dépend absolument de la manière dont les colonnes sont disposées dans le monument ; et c’est ce que le père Roger ne dit pas. Portent-elles de petites arcades ? sont-elles accouplées, groupées, isolées, comme à Cordoue et à Grenade ? Mais si les dehors de cette mosquée ont déjà tant de ressemblance avec quelques parties de l’Alhambra, n’est-il pas à présumer que les dedans conservent le même goût d’architecture ? Je le croirais d’autant plus facilement que les marbres et les colonnes de cet édifice ont été dérobés aux églises chrétiennes, et qu’ils doivent offrir ce mélange d’ordres et de proportions que l’on remarque dans la cathédrale de Cordoue.

Ajoutons une observation à ces conjectures. La mosquée abandonnée que l’on voit près du Caire paraît être du même style que la mosquée de Jérusalem : or, cette mosquée du Caire est évidemment l’original de la mosquée de Cordoue. Celle-ci fut bâtie par dos princes derniers descendants de la dynastie des Ommiades ; et Omar, chef de leur famille, avait fondé la mosquée de Jérusalem.

Les monuments vraiment arabes appartiennent donc à la première dynastie des califes et au génie de la nation en général ; ils ne sont donc pas, comme on l’a cru jusque ici, le fruit du talent particulier des Maures de l’Andalousie, puisque j’ai trouvé les modèles de ces monuments dans l’Orient.

Cela prouvé, j’irai plus loin. Je crois apercevoir dans l’architecture égyptienne, si pesante, si majestueuse, si vaste, si durable, le germe de cette architecture sarrasine, si légère, si riante, si petite, si fragile : le minaret est l’imitation de l’obélisque ; les moresques sont des hiéroglyphes dessinés au lieu d’hiéroglyphes gravés. Quant à ces forêts de colonnes qui composent l’intérieur des mosquées arabes, et qui portent une voûte plate, les temples de Memphis, de Dendéra, de Thèbes, de Méroué offraient encore des exemples de ce genre de construction. Placés sur la frontière de Metzraïm, les descendants d’Ismael ont eu nécessairement l’imagination frappée des merveilles des Pharaons : ils