Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/422

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M. de Saint-Marcel, consul de France à Rosette, nous reçut avec une grande politesse ; M. Caffe, négociant français et le plus obligeant des hommes, voulut nous accompagner jusqu’au Caire. Nous fîmes notre marché avec le patron d’une grande barque ; il nous donna la chambre d’honneur, et, pour plus de sûreté, nous nous associâmes un chef albanais. M. de Choiseul a parfaitement représenté ces soldats d’Alexandre :

" Ces fiers Albanais seraient encore des héros s’ils avaient un Scanderberg à leur tête ; mais ils ne sont plus que des brigands, dont l’extérieur annonce la férocité. Ils sont tous grands, lestes et nerveux ; leurs vêtements consistent en des culottes fort amples, un petit jupon, un gilet garni de plaques, de chaînes et de plusieurs rangs de grosses olives d’argent ; ils portent des brodequins attachés avec des courroies qui montent quelquefois jusqu’aux genoux, pour tenir sur les mollets des plaques qui en prennent la forme et les préservent du frottement du cheval. Leurs manteaux, galonnés et tailladés de plusieurs couleurs, achèvent de rendre cet habillement très pittoresque ; ils n’ont d’autre coiffure qu’une calotte de drap rouge, encore la quittent-ils en courant au combat 7. . "

Les deux jours que nous passâmes à Rosette furent employés à visiter cette jolie ville arabe, ses jardins et sa forêt de palmiers. Savary a un peu exagéré les agréments de ce lieu ; cependant, il n’a pas menti autant qu’on l’a voulu faire croire. Le pathos de ses descriptions a nui à son autorité comme voyageur ; mais c’est justice de dire que la vérité manque plus à son style qu’à son récit.

Le 26, à midi, nous entrâmes dans notre barques, où il y avait un grand nombre de passagers turcs et arabes. Nous courûmes au large, et nous commençâmes à remonter le Nil. Sur notre gauche un marais verdoyant s’étendait à perte de vue, à notre droite une lisière cultivée bordait le fleuve, et par delà cette lisière on voyait le sable du désert. Des palmiers clairsemés indiquaient çà et là des villages, comme les arbres plantés autour des cabanes dans les plaines de la Flandre. Les maisons de ces villages sont faites de terre et élevées sur des monticules artificiels : précaution inutile, puisque souvent dans ces maisons il n’y a personne à sauver de l’inondation du Nil. Une partie du Delta est en friche ; des milliers de fellahs ont été massacrés par les Albanais ; le reste a passé dans la Haute-Égypte.

Contrariés par le vent et par la rapidité du courant, nous