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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/49

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débris ? et s’il les retrouvait, quelle affreuse civilisation retraceraient-ils à ses yeux ? Du moins le janissaire indiscipliné, enfoncé dans son imbécile barbarie, vous laisserait en paix, pour quelques sequins, pleurer sur tant de monuments détruits ; l’Abyssinien discipliné ou le Grec musulman vous présentera sa consigne ou sa baïonnette.

Il faut considérer l’invasion d’Ibrahim comme une nouvelle invasion de la chrétienté par les musulmans. Mais cette seconde invasion est bien plus formidable que la première : celle-ci ne fit qu’enchaîner les corps ; celle-là tend à ruiner les âmes : ce n’est plus la guerre au chrétien, c’est la guerre à la Croix.

Nous n’ignorons pas qu’on murmure à l’oreille des hommes qui s’épouvantent de cet avenir un secret tout extraordinaire : Ibrabim n’a point l’intention de rester en Grèce ; tous les maux qu’il fait à ce pays ne sont qu’un jeu ; il passe par la Morée avec ses nègres et ses Arabes pour devenir roi en Égypte.

Et qui le fera roi ? Lui-même ? Il n’avait pas besoin d’aller si loin, de faire tant de dépenses, de perdre une partie de ses troupes nouvellement disciplinées.

Est-ce pour aguerrir ces troupes qu’il s’est donné ce passe-temps ? Les Grecs l’auraient volontiers dispensé du voyage.

Est-ce le grand seigneur qui mettra la couronne sur la tête d’Ibrabim ? Mais apparemment qu’il ne la lui donnera que pour récompense de l’extermination des Grecs, et il ne se contentera pas d’un simulacre de guerre. Quand un pacha a rendu des services à la Porte, ce n’est pas ordinairement une couronne qu’elle lui envoie. Les ennemis des Grecs en sont pourtant réduits à cette politique et à ces excuses !

La cour de Rome dans les circonstances actuelles s’est montrée humaine et compatissante ; cependant, nous osons le dire, si elle a connu ses devoirs, elle n’a pas assez senti sa force.

" Pontifes du Très-Haut (dit d’une manière admirable l’ Essai historique sur l’état des Grecs 9. ), successeurs des Bossuet et des Fénelon, comment n’a-t-on pas entendu votre voix dans cette cause sacrée ? L’Église de France n’a-t-elle pas, hélas ! à l’époque la plus affreuse de nos troubles civils, connu toutes les tortures de la persécution, et ne trouve-t-elle pas de la pitié dans ses souvenirs ? Vers la fin du moyen âge, dans la chaleur des dissensions réveillées