Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/59

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n’invoquez pas ce même traité pour maintenir la misère, l’injustice et l’esclavage.

Seconde raison : le grand seigneur est le souverain légitime des Grecs : d’où il résulte que les Grecs sont des sujets rebelles.

D’abord le grand seigneur ne prétend point aux honneurs de la légitimité qu’on veut bien lui décerner, et il en serait extrêmement choqué ; ou plutôt il n’élève point des chrétiens au rang de sujets légitimes.

Les sujets légitimes du successeur de Mahomet sont des mahométans. Les Grecs, comme chrétiens, ne sont ni des sujets légitimes ni des sujets illégitimes, ce sont des esclaves, des chiens faits pour mourir sous le bâton des vrais croyants.

Quant à la nation grecque, que la nation turque n’a point incorporée dans son sein en l’appelant au partage de la communauté civile et politique, elle n’est tenue à aucune des conditions qui lient les sujets aux souverains et les souverains aux sujets. Soumise, dans l’origine, au droit de conquête, elle obtint quelques privilèges du vainqueur en échange d’un tribut qu’elle consentit à payer. Elle a payé, elle a obéi tant qu’on a respecté ces privilèges, elle a même encore payé et obéi après qu’ils ont été violés. Mais lorsque enfin on a pendu ses prêtres et souillé ses temples, lorsqu’on a égorgé, brûlé, noyé des milliers de Grecs, lorsqu’on a livré leurs femmes à la prostitution, emmené et vendu leurs enfants dans les marchés de l’Asie, ce qui restait de sang dans le cœur de tant d’infortunés s’est soulevé. Ces esclaves par force ont commencé à se défendre avec leurs fers. Le Grec, qui déjà n’était pas sujet par le droit politique, est devenu libre par le droit de nature : il a secoué le joug sans être rebelle, sans rompre aucun lien légitime, car on n’en avait contracté aucun avec lui. Le musulman et le chrétien en Morée sont deux ennemis qui avaient conclu une trêve à certaines conditions : le musulman a violé ces conditions ; le chrétien a repris les armes : ils se retrouvent l’un et l’autre dans la position où ils étaient quand ils commencèrent le combat il y a trois cent soixante ans.

Il s’agit maintenant de savoir si l’Europe veut et peut arrêter l’effusion du sang. Mais ici se présentent les deux dernières raisons des publicistes :

La médiation des puissances à intervenir pourrait élever des difficultés politiques ;

Il ne convient pas qu’un gouvernement populaire s’établisse à l’orient de l’Europe.

Ces raisons peuvent être écartées par les faits.