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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/61

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de fait : elle ne se comprend pas elle-même autrement.

Elle ne reconnaît point le droit politique de l’Europe, elle se gouverne d’après le code des peuples de l’Asie ; elle ne fait, par exemple, aucune difficulté d’emprisonner les ambassadeurs des peuples avec lesquels elle commence les hostilités.

Elle ne reconnaît pas notre droit des gens : si le voyageur qui parcourt son empire est protégé par les mœurs, en général hospitalières, par les préceptes charitables du Coran, il ne l’est pas par les lois.

Dans les transactions commerciales l’individu musulman est sincère, religieux observateur de ses propres conventions ; le fisc est arbitraire et faux.

Le droit de guerre chez les Turcs n’est point le droit de guerre chez les chrétiens : il emporte la mort dans la défense, l’esclavage dans la conquête.

Le droit de souveraineté de la Porte ne peut être légitimement réclamé par elle que pour ses provinces musulmanes. Dans ses provinces chrétiennes, là où elle n’a plus la force, là elle a cessé de régner, car la présence des Turcs parmi les chrétiens n’est pas l’établissement d’une société, mais une simple occupation militaire[1].

Mais la Grèce, État indépendant, sera-t-elle d’une considération aussi importante que la Turquie dans les transactions de l’Europe ? Pourra-t-elle offrir par sa propre masse un rempart contre les entreprises d’un pouvoir, quel qu’il soit ?

La Turquie est-elle un plus fort boulevard ? La facilité de l’attaquer n’est-elle pas démontrée à tous les yeux ? On a vu dans ses guerres avec la Russie, on a vu en Égypte, quelle est sa force de résistance. Ses milices sont nombreuses et assez braves au premier choc, mais quelques régiments disciplinés suffisent pour les disperser. Son artillerie est nulle ; sa cavalerie même ne sait pas manœuvrer, et vient se briser contre un bataillon d’infanterie : les fameux mameloucks ont été détruits par une poignée de soldats français. Si telle puissance n’a pas envahi la Turquie, rendons-en grâces à la modération même sur le trône.

Que si l’on veut supposer que la Turquie a été ménagée par la crainte prudente que chacun a ressentie d’allumer une guerre générale, n’est-il pas évident que tous les cabinets seraient également attentifs à ne pas laisser succomber la Grèce ? La Grèce aurait bientôt des alliances et des traités, et ne se présenterait pas seule dans l’arène.

  1. Partout en Grèce où le poste est militaire, les Grecs sont relégués dans une bourgade à part et séparés des Turcs. (N. d. A.)