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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/129

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animaux, disent les sauvages, c’est la femelle qui nourrit les petits.

On taxe d’incontinence une femme qui devient grosse la première année de son mariage ; elle prend quelquefois le suc d’une espèce de rue pour détruire son fruit trop hâtif : cependant (inconséquences naturelles aux hommes) une femme n’est estimée qu’au moment où elle devient mère. Comme mère, elle est appelée aux délibérations publiques ; plus elle a d’enfants, et surtout de fils, plus on la respecte.

Un mari qui perd sa femme épouse la sœur de sa femme quand elle a une sœur, de même qu’une femme qui perd son mari épouse le frère de ce mari s’il a un frère : c’étoit à peu près la loi athénienne. Une veuve chargée de beaucoup d’enfants est fort recherchée.

Aussitôt que les premiers symptômes de la grossesse se déclarent, tous rapports cessent entre les époux. Vers la fin du neuvième mois, la femme se retire à la hutte des purifications, où elle est assistée par les matrones. Les hommes, sans en excepter le mari, ne peuvent entrer dans cette hutte. La femme y demeure trente ou quarante jours après ses couches, selon qu’elle a mis au monde une fille ou un garçon.

Lorsque le père a reçu la nouvelle de la naissance de son enfant, il prend un calumet de paix dont il entoure le tuyau avec des pampres de vigne vierge, et court annoncer l’heureuse nouvelle aux divers membres de la famille. Il se rend d’abord chez les parents maternels, parce que l’enfant appartient exclusivement à la mère. S’approchant du sachem le plus âgé, après avoir fumé vers les quatre points cardinaux, il lui présente sa pipe, en disant : « Ma femme est mère. » Le sachem prend la pipe, fume à son tour, et dit en ôtant le calumet de sa bouche : « Est-ce un guerrier ? »

Si la réponse est affirmative, le sachem fume trois fois vers le soleil : si la réponse est négative, le sachem ne fume qu’une fois. Le père est reconduit en cérémonie plus ou moins loin, selon le sexe de l’enfant. Un sauvage devenu père prend une tout autre autorité dans la nation ; sa dignité d’homme commence avec sa paternité.

Après les trente ou quarante jours de purification, l’accouchée se dispose à revenir à sa cabane : les parents s’y rassemblent pour imposer un nom à l’enfant : on éteint le feu ; on jette au vent les anciennes cendres du foyer ; on prépare un bûcher composé de bois odorants : le prêtre ou jongleur, une mèche à la main, se tient prêt à allumer le feu nouveau : on purifie les lieux d’alentour en les aspergeant avec de l’eau de fontaine.

Bientôt s’avance la jeune mère : elle vient seule, vêtue d’une robe nouvelle ; elle ne doit rien porter de ce qui lui a servi autrefois. Sa