Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/130

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mamelle gauche est découverte ; elle y suspend son enfant complètement nu ; elle pose un pied sur le seuil de sa porte.

Le prêtre met le feu au bûcher : le mari s’avance, et reçoit son enfant des mains de sa femme. Il le reconnoît d’abord et l’avoue à haute voix. Chez quelques tribus les parents du même sexe que l’enfant assistent seuls aux relevailles. Après avoir baisé les lèvres de son enfant, le père le remet au plus vieux sachem ; le nouveau né passe entre les bras de toute sa famille : il reçoit la bénédiction du prêtre et les vœux des matrones.

On procède ensuite au choix d’un nom : la mère reste toujours sur le seuil de la cabane. Chaque famille a ordinairement trois ou quatre noms qui reviennent tour à tour ; mais il n’est jamais question que de ceux du côté maternel. Selon l’opinion des sauvages, c’est le père qui crée l’âme de l’enfant, la mère n’en engendre que le corps[1] : on trouve juste que le corps ait un nom qui vienne de la mère.

Quand on veut faire un grand honneur à l’enfant, on lui confère le nom le plus ancien dans sa famille : celui de son aïeule, par exemple. Dès ce moment l’enfant occupe la place de la femme dont il a recueilli le nom ; on lui donne en lui parlant le degré de parenté que son nom fait revivre : ainsi un oncle peut saluer un neveu du titre de grand’mère ; coutume qui prêteroit au rire si elle n’étoit infiniment touchante. Elle rend pour ainsi dire la vie aux aïeux ; elle reproduit dans la foiblesse des premiers ans la foiblesse du vieil âge ; elle lie et rapproche les deux extrémités de la vie, le commencement et la fin de la famille ; elle communique une espèce d’immortalité aux ancêtres, en les supposant présents au milieu de leur postérité ; elle augmente les soins que la mère a pour l’enfance par le souvenir des soins qu’on prit de la sienne : la tendresse filiale redouble l’amour maternel.

Après l’imposition du nom, la mère entre dans la cabane ; on lui rend son enfant, qui n’appartient plus qu’à elle. Elle le met dans un berceau. Ce berceau est une petite planche du bois le plus léger, qui porte un lit de mousse ou de coton sauvage : l’enfant est déposé tout nu sur cette couche ; deux bandes d’une peau moelleuse l’y retiennent et préviennent sa chute, sans lui ôter le mouvement. Au-dessus de la tête du nouveau né est un cerceau sur lequel on étend un voile pour éloigner les insectes et pour donner de la fraîcheur et de l’ombre à la petite créature.

J’ai parlé ailleurs[2] de la mère indienne ; j’ai raconté comment elle

  1. Voyez Les Natchez
  2. Atala, le Génie du Christianisme, Les Natchez, etc.