Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/160

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que distance des garennes ; pour le rat musqué, dans les taillis de frênes ; pour les loutres, dans les fossés des prairies et dans les joncs des étangs.

On visite les trappes le matin : on part de la hutte deux heures avant le jour.

Les chasseurs marchent sur la neige avec des raquettes : ces raquettes ont dix-huit pouces de long sur huit de large ; de forme ovale par devant, elles se terminent en pointe par derrière ; la courbe de l’ellipse est de bois de bouleau, plié et durci au feu. Les cordes transversales et longitudinales sont faites de lanières de cuir : elles ont six lignes en tous sens ; on les renforce avec des scions d’osier. La raquette est assujettie aux pieds au moyen de trois bandelettes. Sans ces machines ingénieuses il seroit impossible de faire un pas l’hiver dans ces climats ; mais elles blessent et fatiguent d’abord, parce qu’elles obligent à tourner les genoux en dedans et à écarter les jambes.

Lorsqu’on procède à la visite et à la levée des pièges, dans les mois de novembre et de décembre, c’est ordinairement au milieu des tourbillons de neige, de grêle et de vent : on voit à peine à un demi-pied devant soi. Les chasseurs marchent en silence ; mais les chiens, qui sentent la proie, poussent des hurlements. Il faut toute la sagacité du sauvage pour retrouver les trappes ensevelies, avec les sentiers, sous les frimas.

À un jet de pierre des pièges, le chasseur s’arrête, afin d’attendre le lever du jour ; il demeure debout, immobile au milieu de la tempête, le dos tourné au vent, les doigts enfoncés dans la bouche : à chaque poil des peaux dont il est enveloppé se forme une aiguille de givre, et la touffe de cheveux qui couronne sa tête devient un panache de glace.

À la première lueur du jour, lorsqu’on aperçoit les trappes tombées, on court aux fins de la bête. Un loup ou un renard, les reins à moitié cassés, montre aux chasseurs ses dents blanches et sa gueule noire : les chiens font raison du blessé.

On balaye la nouvelle neige, on relève la machine ; on y met une pâture fraîche, observant de dresser l’embûche sous le vent. Quelquefois les pièges sont détendus sans que le gibier y soit resté : cet accident est l’effet de la matoiserie des renards ; ils attaquent l’amorce en avançant la patte par le côté de la planche, au lieu de s’engager sous la trappe ; ils emportent sains et saufs la picorée.

Si la prcmière levée des pièges a été bonne, les chasseurs retournent triomphants à la hutte ; le bruit qu’ils font alors est incroyable : ils racontent les captures de la matinée ; ils invoquent les manitous ;