Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/194

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d’eau ; on leur passa le lacet au cou, et les parents de la femme-chef tirèrent, en chantant, sur les deux bouts du lacet.

On a peine à comprendre comment un peuple chez lequel la propriété individuelle étoit inconnue, et qui ignoroit la plupart des besoins de la société, avoit pu tomber sous un pareil joug. D’un côté des hommes nus, la liberté de la nature ; de l’autre des exactions sans exemples, un despotisme qui passe ce qu’on a vu de plus formidable au milieu des peuples civilisés ; l’innocence et les vertus primitives de l’état politique à son berceau, la corruption et les crimes d’un gouvernement décrépit : quel monstrueux assemblage !

Une révolution simple, naturelle, presque sans effort, délivra en partie les Natchez de leurs chaînes. Accablés du joug des nobles et du soleil, ils se contentèrent de se retirer dans les bois ; la solitude leur rendit la liberté. Le soleil, demeuré au grand village, n’ayant plus rien à donner aux allouez, puisqu’on ne cultivoit plus le champ commun, fut abandonné de ces mercenaires. Ce soleil eut pour successeur un prince raisonnable. Celui-ci ne rétablit point les gardes ; il abolit les usages tyranniques, rappela ses sujets, et leur fit aimer son gouvernement. Un conseil de vieillards formé par lui détruisit le principe de la tyrannie, en réglant d’une manière nouvelle la propriété commune.

Les nations sauvages, sous l’empire des idées primitives, ont un invincible éloignement pour la propriété particulière, fondement de l’ordre social. De là chez quelques Indiens cette propriété commune, ce champ public des moissons, ces récoltes déposées dans des greniers où chacun vient puiser selon ses besoins ; mais de là aussi la puissance des chefs qui veillent à ces trésors, et qui finissent par les distribuer au profit de leur ambition.

Les Natchez régénérés trouvèrent un moyen de se mettre à l’abri de la propriété particulière, sans tomber dans l’inconvénient de la propriété commune. Le champ public fut divisé en autant de lots qu’il y avoit de familles. Chaque famille emportoit chez elle la moisson contenue dans un de ces lots. Ainsi le grenier public fut détruit, en même temps que le champ commun resta, et comme chaque famille ne recueilloit pas précisément le produit du carré qu’elle avoit labouré et semé, elle ne pouvoit pas dire qu’elle avoit un droit particulier à la jouissance de ce qu’elle avoit reçu. Ce ne fut plus la communauté de la terre, mais la communauté du travail qui fit la propriété commune.

Les Natchez conservèrent l’extérieur et les formes de leurs anciennes institutions : ils ne cessèrent point d’avoir une monarchie