Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/25

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quer Froissart, qui n’écrivit, à proprement parler, que ses voyages : c’étoit en chevauchant qu’il traçoit son histoire. Il passoit de la cour du roi d’Angleterre à celle du roi de France, et de celle-ci à la petite cour chevaleresque des comtes de Foix. « Quand j’eus séjourné en la cité de Paumiers trois jours, me vint d’aventure un chevalier du comte de Foix qui revenoit d’Avignon, lequel on appeloit messire Espaing du Lyon, vaillant homme et sage et beau chevalier, et pouvoit alors être en âge de cinquante ans. Je me mis en sa compagnie, et fûmes six jours sur le chemin. En chevauchant, ledit chevalier (puisqu’il avoit dit au matin ses oraisons) se devisoit le plus du jour à moi, en demandant des nouvelles : aussi, quand je lui en demandois, il m’en respondoit, etc. » On voit Froissart arriver dans de grands hôtels, dîner à peu près aux heures où nous dînons, aller au bain, etc. L’examen des voyages de cette époque me porte à croire que la civilisation domestique du xive siècle étoit infiniment plus avancée que nous ne nous l’imaginons.

En retournant sur nos pas, au moment de l’invasion de l’Europe civilisée par les peuples du Nord, nous trouvons les voyageurs et les géographes arabes qui signalent dans les mers des Indes des rivages inconnus des anciens : leurs découvertes furent aussi fort importantes en Afrique : Massudi, Ibn-Haukal, Al-Edrisi, Ibn-Alouardi, Hamdoullah, Abulféda, El-Bakoui, donnent des descriptions très-étendues de leur propre patrie et des contrées soumises aux armes des Arabes. Ils voyoient au nord de l’Asie un pays affreux, qu’entouroit une muraille énorme, et un château de Gog et de Magog. Vers l’an 715, sous le calife Walid, les Arabes connurent la Chine, où ils envoyèrent par terre des marchands et des ambassadeurs : ils y pénétrèrent aussi par mer dans le ixe siècle : Wahab et Abuzaïd abordèrent à Canton. Dès l’an 850 les Arabes avoient un agent commercial dans la province de ce nom ; ils coramerçoient avec quelques villes de l’intérieur, et, chose singulière ! ils y trouvèrent des communautés chrétiennes.

Les Arabes donnoient à la Chine plusieurs noms : le Cathai comprenoit les provinces du nord, le Tchin ou le Sin les provinces du midi. Introduits dans l’Inde, sous la protection de leurs armes, les disciples de Mahomet parlent dans leurs récits des belles vallées de Cachemire aussi pertinemment que des voluptueuses vallées de Grenade. Ils avoient jeté des colonies dans plusieurs îles de la mer de l’Inde, telles que Madagascar et les Moluques, où les Portugais les trouvèrent après avoir doublé le cap de Bonne-Espérance.

Tandis que les marchands militaires de l’Asie faisoient, à l’orient et au midi, des découvertes inconnues à l’Europe subjuguée par les barbares, ceux