Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/334

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famille Plautia, bâti en forme de tour. Le grand chemin de Rome se déroule aussi dans la campagne ; c’étoit l’ancienne voie Tiburtine, autrefois bordée de sépulcres, et le long de laquelle des meules de foin élevées en pyramides imitent encore des tombeaux.

Il seroit difficile de trouver dans le reste du monde une vue plus étonnante et plus propre à faire naître de puissantes réflexions. Je ne parle pas de Rome, dont on aperçoit les dômes, et qui seule dit tout ; je parle seulement des lieux et des monuments renfermés dans cette vaste étendue. Voilà la maison où Mécène, rassasié des biens de la terre, mourut d’une maladie de langueur ; Varus quitta ce coteau pour aller verser son sang dans les marais de la Germanie ; Cassius et Brutus abandonnèrent ces retraites pour bouleverser leur patrie. Sous ces hauts pins de Frascati, Cicéron dictoit ses Tusculanes ; Adrien fit couler un nouveau Pénée au pied de cette colline, et transporta dans ces lieux les noms, les charmes et les souvenirs du vallon de Tempé. Vers cette source de la Solfatare, la reine captive de Palmyre acheva ses jours dans l’obscurité, et sa ville d’un moment disparut dans le désert. C’est ici que le roi Latinus consultai le dieu Faune dans la forêt de l’Albunée ; c’est ici qu’Hercule avoit son temple, et que la sibylle tiburtine dictoit ses oracles ; ce sont là les montagnes des vieux Sabins, les plaines de l’antique Latium ; terre de Saturne et de Rhée, berceau de l’âge d’or, chanté par tous les poètes ; riants coteaux de Tibur et de Lucrétile, dont le seul génie françois a pu retracer les grâces, et qui attendoient le pinceau du Poussin et de Claude Lorrain.

Je descendis de la villa d’Este[1] vers les trois heures après midi ; je passai le Teverone sur le pont de Lupus, pour rentrer à Tivoli par la porte Sabine. En traversant le bois des vieux oliviers, dont je viens de vous parler, j’aperçus une petite chapelle blanche, dédiée à la madone Quintilanea, et bâtie sur les ruines de la villa de Varus. C’étoit un dimanche : la porte de cette chapelle étoit ouverte, j’y entrai. Je vis trois petits autels disposés en forme de croix ; sur celui du milieu s’élevoit un grand crucifix d’argent, devant lequel brûloit une lampe suspendue à la voûte. Un seul homme, qui avoit l’air très-malheureux, étoit prosterné auprès d’un banc ; il prioit avec tant de ferveur, qu’il ne leva pas même les yeux sur moi au bruit de mes pas. Je sentis ce que j’ai mille fois éprouvé en entrant dans une église, c’est-à-dire un certain apaisement des troubles du cœur (pour parler comme nos

  1. On a vu à la fin de ma description de la villa Adriana que j’annonçois pour le lendemain une promenade à la villa d’Este. Je n’ai point donné le détail particulier de cette promenade, parce qu’il se trouvoit déjà dans ma Lettre sur Rome, à M. de Fontanes.