Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 6.djvu/96

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en a conclu que l’eau couloit jadis à ce niveau, et que des nations inconnues écrivirent ces lettres mystérieuses on passant sur le fleuve.

Une transition subite de température et de climat se fait remarquer sur l’Ohio : aux environs du Canaway, le cyprès chauve cesse de croître, et les sassafras disparoissent ; les forets de chênes et d’ormeaux se multiplient. Tout prend une couleur différente : les verts sont plus foncés, leurs nuances plus sombres.

Il n’y a, pour ainsi dire, que deux saisons sur le fleuve : les feuilles tombent tout à coup en novembre ; les neiges les suivent de près ; le vent du nord-ouest commence, et l’hiver règne. Un froid sec continue avec un ciel pur jusqu’au mois de mars ; alors le vent tourne au nord-est, et en moins de quinze jours, les arbres chargés de givre apparoissent couverts de fleurs. L’été se confond avec le printemps.

La chasse est abondante. Les canards branchus, les linottes bleues, les cardinaux, les chardonnerets pourpres, brillent dans la verdure des arbres ; l’oiseau whet-shaw imite le bruit de la scie ; l’oiscau-chat miaule, et les perroquets qui apprennent quelques mots autour des habitations les répètent dans les bois. Un grand nombre de ces oiseaux vivent d’insectes : la chenille verte à tabac, le ver d’une espèce de mûrier blanc, les mouches luisantes, l’araignée d’eau, leur servent principalement de nourriture ; mais les perroquets se réunissent en grandes troupes et dévastent les champs ensemencés. On accorde une prime pour chaque tête de ces oiseaux : on donne la même prime pour les têtes d’écureuil.

L’Ohio offre à peu près les mêmes poissons que le Mississipi. Il est assez commun d"y prendre des truites de trente à trente-cinq livres, et une espèce d’esturgeon dont la tête est faite comme la pelle d’une pagaye.

En descendant le cours de l’Ohio on passe une petite rivière appelée le Lic des grands Os. On appelle lic en Amérique des bancs d’une terre blanche un peu glaiseuse, que les buffles se plaisent à lécher ; ils y creusent avec leur langue des sillons. Les excréments de ces animaux sont si imprégnés de la terre du lic, qu’ils ressemblent à des morceaux de chaux. Les buffles recherchent les lics à cause des sels qu’ils contiennent: ces sels guérissent les animaux ruminants des tranchées que leur cause la crudité des herbes. Cependant les terres de la vallée do l’Ohio ne sont point salées au goût ; elles sont au contraire extrêmement insipides.

Le lic de la rivière du Lic est un des plus grands que l’on connoisse ; les vastes chemins que les buffles ont tracés à travers les herbes pour y aborder seroient effrayants si l’on ne savoit que ces taureaux sau-