Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/101

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans l’ancienne monarchie et de quelle manière elle se combinoit avec le corps politique.

La noblesse, sous la première et la seconde race de nos rois, se présentoit tout entière aux assemblées de la nation ; alors les gentilshommes jouissoient en corps, et dans leur intégrité, de tous leurs droits, droits qui tenoient au principe de la liberté par leur principe aristocratique, et au principe de l’honneur par leur côté monarchique.

Sous la troisième race, quand les états généraux succédèrent aux assemblées de mars et de mai, la noblesse se contenta d’envoyer des députés à ces états : alors elle ne jouit plus en corps de la plénitude de ses droits. La moitié de ces droits, ceux qui tenoient au principe de liberté, les droits républicains ou aristocratiques, furent transmis par elle à ses représentants, tandis qu’elle continuoit de garder en corps ses droits monarchiques, c’est-à-dire ceux qui découloient du principe d’honneur. Cela duroit jusqu’à la fin des états généraux, où, la mission des représentants de la noblesse venant à finir, cette noblesse réunissoit de nouveau ses deux principes et les droits dérivés de ces deux sources.

Eh bien, la seule chose qui, sous le rapport de la noblesse, distingue aujourd’hui notre dernière constitution, c’est que ce qui n’arrivoit que par intervalles sous la vieille monarchie est devenu permanent dans la nouvelle.

La noblesse, représentée dans la chambre des pairs, a transmis pour toujours à cette chambre son principe de liberté, ses droits républicains et aristocratiques, tandis qu’elle reste au dehors conservatrice du principe d’honneur, fondement réel de la monarchie.

On voit par là que cette noblesse n’est point du tout incompatible avec nos nouvelles institutions ; qu’elle n’est point en contradiction avec la nature du gouvernement ; que ce gouvernement n’a pu ni dû la détruire ; qu’il a seulement divisé les éléments qui la composoient, séparé son double principe, et que la noblesse subsiste à la fois dans la chambre des pairs comme pouvoir aristocratique, et hors de la chambre des pairs comme force monarchique.

Elle n’exerce plus ses droits politiques, parce qu’elle en a remis l’usage à la chambre des pairs, qui la représente sous les rapports républicains ; mais elle exerce tous ses droits d’honneur ; elle appuie de cette force, si grande en France, l’autorité monarchique, qui pourroit être envahie sans ce rempart.

Telle est l’action de ce corps qui vous paroît inutile, et qui n’est autre, par le fond, que celui de la chambre des pairs. Il n’y a point deux noblesses dans l’État : il n’y en a qu’une, qui se divise en deux bran-