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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/17

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de tous les hommes qui depuis la création se sont entendus d’un bout de la terre à l’autre pour prier Dieu.

En bonne logique, ne puis-je appartenir à la grande communion des hommes qui ont prié Dieu depuis les patriarches jusqu’aux gentils des temps modernes, ignorants encore de l’Évangile ? ne puis-je, dis-je, appartenir à cette communion, sans cesser de connoître et de prier Dieu à la manière des chrétiens ? Mais passons.

Je suis bien plus coupable encore ; je joins l’hérésie au philosophisme, témoin ces mots : Je suis chrétien. C’est du protestantisme tout pur ; je devois dire : Je suis catholique, apostolique et romain. Bien : je suis hérétique parce que je me suis servi du mot fameux des martyrs allant au supplice : « Je suis chrétien ! »

Mais si j’ai déclaré, dans le même paragraphe, que j’irois, pour ma foi, d’un pas ferme à l’échafaud, que je ne démens pas une syllabe de ce que j’ai écrit dans le Génie du Christianisme, reste-t-il quelque doute sur mes sentiments ? L’ouvrage dont je ne démens pas une syllabe n’est-il pas l’apologie la plus complète de la religion catholique, apostolique et romaine ? Ah, mes pieux commentateurs ! ce ne sont pas les phrases qui vous blessent ! Vous me trouveriez très-orthodoxe si avant et après ces mots : je suis chrétien, on ne lisoit pas ces divers passages : Je ne suis point chrétien par patentes de trafiquant en religion… Je ne fais point métier et marchandise de mes opinions… Indépendant de tout, fors de Dieu, je suis chrétien sans ignorer mes faiblesses, sans me donner pour modèle, sans être persécuteur, inquisiteur, délateur, sans espionner mes frères, sans calomnier mes voisins… Je n’explique point l’Évangile au profit du despotisme, mais au profit du malheur… Marcher avec le temps ; soutenir la liberté par l’autorité de la religion, prêcher l’obéissance à la Charte comme la soumission au Roi… voilà, selon moi, ce qui pourrait rendre au clergé la puissance légitime qu’il doit obtenir. Le christianisme porte pour moi deux preuves de sa céleste origine : par sa morale, il tend à nous délivrer des passions ; par sa politique, il abolit l’esclavage. C’est donc une religion de liberté : c’est la mienne.

Détester la persécution, l’intrigue et le mensonge ; désirer que la religion s’allie avec la liberté et s’étende avec les lumières du siècle, voilà ma véritable hérésie, mon philosophisme réel, mon péché irrémissible. Un homme qui veut la Charte, en la séparant de l’Évangile, prêche une doctrine stérile ; mais un homme qui demande que la Charte soit déposée sur l’autel est assis dans une chaire féconde en séductions diaboliques : la foule trompée finiroit par se plaire à l’œuvre réprouvée que l’ancien Dragon inspira à Louis XVIII et fit jurer à Charles X.