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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/18

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Pour tout esprit droit et tout cœur sincère, il ne peut y avoir rien d’équivoque dans les phrases incriminées, si on les rattache aux phrases dont elles sont précédées ou suivies ; mais voulant trancher la question, et ne laisser aucune occasion d’anathème aux nouveaux docteurs, je déclare donc que je vivrai et mourrai catholique, apostolique et romain. Voilà qui est clair et positif. Les trafiquants de religion seront-ils satisfaits, me croiront-ils ? Pas du tout ; ils me jugent d’après eux.

Je me serois bien gardé de rappeler de misérables critiques dans une préface, si ces critiques ne tomboient sur un point religieux : le mépris ou l’insouciance en pareille matière seroit coupable. Je professe ma croyance religieuse aussi publiquement que ma croyance politique : j’ai toujours été d’avis qu’il n’y a point de liberté durable si elle n’est fondée, comme la société tout entière, dans la religion ; seulement il ne faut pas prendre l’hypocrisie pour la foi, l’ardeur de la calomnie pour le zèle de la charité, et l’abus que l’on fait des choses saintes pour les choses saintes elles-mêmes.

Je parlerai maintenant de l’écrit placé à la tête de ce volume : Louis XVIII vouloit bien dire que cet écrit lui avoit valu une armée.

Buonaparte est jugé avec rigueur dans cet opuscule approprié aux besoins de l’époque. À cette époque de trouble et de passion les paroles ne pouvoient être rigoureusement pesées ; il s’agissoit moins d’écrire que d’agir ; c’étoit une bataille qu’il falloit gagner ou perdre dans l’opinion ; et perdue, elle dispersoit pour toujours les débris du trône légitime. La France ne savoit que penser ; l’Europe, stupéfaite de sa victoire, hésitoit ; Buonaparte étoit à Fontainebleau, tout-puissant encore et environné de quarante mille vétérans ; les négociations avec lui n’étoient pas rompues : le moment étoit décisif ; force étoit donc de s’occuper seulement de l’homme à craindre, sans rechercher ce qu’il avoit d’éminent ; l’admiration mise imprudemment dans la balance l’auroit fait pencher du côté de l’oppresseur de nos libertés. La patrie étoit écrasée sous le despotisme, et livrée par l’ambition insensée de ce despotisme à l’invasion de l’étranger ; nos blessures récentes saignoient : le donjon de Vincennes, les exils, les fusillades à la plaine de Grenelle, l’anéantissement de notre indépendance, la conscription, les banqueroutes répétées, l’iniquité de la politique napoléonienne, l’ingrate persécution suscitée du souverain pontife, l’enlèvement du roi d’Espagne ; les désastres de la campagne de Russie ; enfin, tous les abus de l’arbitraire, toutes les vexations du gouvernement de l’empire ne laissoient à personne le sang-froid nécessaire pour prononcer