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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/234

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un niais, non ! Je serois aussi trop honteux d’être deux fois dupe. Vous prétendez rendre royalistes les hommes qui vous ont déjà perdus ! Et que ferez-vous pour eux qu’on n’eût point fait alors ? Ils occupoient toutes les places, ils dévoroient tout l’argent, ils étoient chargés de tous les honneurs. On donnoit à quelques régicides mille écus par mois pour avoir fait tomber la tête de Louis XVI. Serez-vous plus libéral ? Les Cent Jours ont envenimé la plaie ; il ont ajouté aux passions premières la honte d’avoir tenté sans succès une nouvelle trahison. Par cette raison, la légitimité est devenue de plus en plus odieuse à de certains hommes : ils ne seront satisfaits que par son entière destruction. Je le répéterai : essayer encore après le 20 mars de gagner les révolutionnaires, remettre encore toutes les places entre les mains des ennemis du roi, continuer encore le système de fusion et d’amalgame, croire encore qu’on enchaîne la vanité par les bienfaits, les passions par les intérêts ; en un mot, retomber dans toutes les fautes qu’on a faites après une leçon si récente, une expérience si rude, disons-le sans détour, il faut que quelque arrêt fatal ait été prononcé contre cet infortuné pays.

CHAPITRE XXX.
DES ÉPURATIONS EN GÉNÉRAL.

Ceci nous amène à traiter des épurations.

Avant l’ouverture de la session, les collèges électoraux avoient demandé l’épuration des autorités. À l’ouverture de la session, les deux chambres répétèrent la même demande dans leurs adresses. Le ministère répondit qu’il surveilleroit ses agents ; qu’il prenoit, d’ailleurs, les événements sous sa responsabilité.

Mais, d’abord, qu’est-ce que la responsabilité des ministres ? La loi qui doit la définir n’est point encore faite. Jusque ici cette terrible responsabilité, de loin vaisseau de haut bord, de près n’est que bâton flottant sur l’onde. Le premier ministre étoit sans doute dévoué à la cause de la royauté : cependant a-t-il pu prévenir l’infidélité des bureaux et des commis ? Dans une foule de cas le ministre ne peut voir que par les sous-ordres qui l’environnent ; sa foi peut être surprise. Si, par exemple, les administrations sont remplies d’hommes qui calomnient les amis du roi, le ministre n’agira-t-il pas dans le sens des rapports qu’on lui fera ? Ne sera-t-il pas trompé sur les véritables intérêts de la patrie ?