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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/236

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son ennemi, qu’il poursuive peut-être son bienfaiteur ; vous le placez entre ses penchants et ses devoirs, et vous faites dépendre votre sûreté de son ingratitude.

CHAPITRE XXXI.
QUE LES ÉPURATIONS PARTIELLES SONT UNE INJUSTICE.

Après tout, puisqu’on avoit embrassé le système des intérêts révolutionnaires, c’étoit une chose forcée que de repousser celui des épurations. Mais lorsqu’on suit une route, il faut, y marcher franchement, rondement ; et c’est ce qu’on ne fit pas. On prit encore le plus mauvais parti, dans un mauvais parti : on en vint aux épurations partielles, et l’on convertit ainsi un grand acte de justice en une injustice criante.

Il y a un esprit de justice chez les hommes qui fait qu’on ne se plaint point d’une mesure générale, lorsqu’elle est fondée sur la raison et sur les faits ; mais une mesure particulière, qui n’a l’air que du caprice, révolte tout le monde, et ne satisfait personne.

Quel a été le résultat des épurations partielles ? Tel homme a perdu sa place ou sa pension pour avoir signé une seule fois l’Acte additionnel ; tel autre qui l’a signé quatre ou cinq fois, en quatre ou cinq qualités différentes, conserve ses places et ses pensions.

Celui-ci aura accepté un emploi pendant les Cent Jours, et il sera déclaré indigne de le garder aujourd’hui ; celui-là se sera conduit de la même manière, et conserve ce qu’il avoit mal acquis.

Un fonctionnaire public descend du haut rang qu’il avoit conservé sous Buonaparte après l’avoir reçu de Louis XVIII, on le punit ; mais son voisin avoit sollicité de l’usurpateur le même rang, et ne l’avoit point obtenu. Dédaigné de Buonaparte, il jouit du témoignage d’une conscience pure, de la gloire de la fidélité et des faveurs du gouvernement légitime.

Des fédérés ont reçu l’institution royale, et un magistrat qui dans une cour obscure a prêté un misérable serment éprouve toute la sévérité de l’épuration.

Comme il faut que tout soit compensé dans cette vie, des juges royalistes, des citoyens qui se sont conduits avec courage pendant les Cent Jours ont perdu leur emploi, et on a mis à leur place des partisans de l’usurpateur : tant on s’est piqué d’impartialité ! Encore n’a-t-on pas réellement écarté certains fonctionnaires désignés par