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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/237

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l’opinion publique ; on les a seulement ôtés d’une province, pour les faire passer avec plus d’avantages dans une autre.

Un homme que je ne connoissois pas, et qui avoit été éloigné par l’effet des épurations, vint un jour me demander quelques services : il eut la naïveté de me dire qu’un ministre lui avoit promis de le replacer aussitôt que cette chambre furibonde seroit renvoyée. J’admirai la grandeur de la Providence, et je bénis Dieu de ce que cet honnête homme étoit venu s’adresser à moi.

Ces demi-épurations prolongées produisent encore un autre mal : elles sèment la division dans les provinces ; elles encouragent les petites vengeances, les jalousies secrètes, les dénonciations. Chacun, dans l’espoir d’obtenir la place de son voisin, ne manque pas de raconter ce qu’a fait ce voisin ou d’inventer sur son compte quelques calomnies. Si l’on avoit d’abord frappé un grand coup, qu’on en fût venu à une large épuration, on se seroit soumis, et la vindicte publique eût été satisfaite. On se plaint aujourd’hui des dénonciations, et on a raison ; mais à qui la faute ? N’est-ce pas les tergiversations et les demi-mesures qui les ont fait naître ? Il faut savoir ce que l’on veut quand on administre : mieux auroit-il fallu dire : « Il n’y aura point d’épuration, » et tenir ferme, que de n’avoir la force ni de suivre le système opposé, ni de le rejeter entièrement.

CHAPITRE XXXII.
SUR L’INCAPACITÉ PRÉSUMÉE DES ROYALISTES ET LA PRÉTENDUE HABILETÉ DE LEURS ADVERSAIRES.

Enfin, et c’est ici la dernière opinion qui nous reste à examiner, on prétend que les royalistes sont incapables ; qu’il n’y a d’habiles que les hommes sortis de l’école de Buonaparte ou formés par la révolution.

Apporte-t-on quelque raison en preuve de cette assertion ? Aucune ; mais on regarde la chose comme démontrée. « Nous voulons bien des royalistes, nous dit-on ; mais donnez-nous-en que nous puissions employer : faute de quoi nous prendrons les administrateurs de Buonaparte, puisque eux seuls ont du talent. »

Ainsi, l’on remonte encore la chaîne, et l’on retourne au premier anneau : les royalistes ne peuvent être utiles, parce qu’ils manquent de capacité et de savoir : l’épuration est donc impossible, parce qu’on n’auroit plus personne pour administrer. Il faut donc gagner les