Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/27

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leur avoit enlevés. Ces enfants étoient placés dans des écoles où, rassemblés au son du tambour, ils devenoient irréligieux, débauchés, contempteurs des vertus domestiques. Si de sages et dignes maîtres osoient rappeler la vieille expérience et les leçons de la morale, ils étoient aussitôt dénoncés comme des traîtres, des fanatiques, des ennemis de la philosophie et du progrès des lumières. L’autorité paternelle, respectée par les plus affreux tyrans de l’antiquité, étoit traitée par Buonaparte d’abus et de préjugés. Il vouloit faire de nos fils des espèces de mamelouks sans Dieu, sans famille et sans patrie. Il semble que cet ennemi de tout s’attachât à détruire la France par ses fondements. Il a plus corrompu les hommes, plus fait de mal au genre humain dans le court espace de dix années, que tous les tyrans de Rome ensemble, depuis Néron jusqu’au dernier persécuteur des chrétiens. Les principes qui servoient de base à son administration passoient de son gouvernement dans les différentes classes de la société ; car un gouvernement pervers introduit le vice chez les peuples, comme un gouvernement sage fait fructifier la vertu. L’irréligion, le goût des jouissances et des dépenses au-dessus de la fortune, le mépris des liens moraux, l’esprit d’aventure, de violence et de domination, descendoient du trône dans les familles. Encore quelque temps d’un pareil règne, et la France n’eût plus été qu’une caverne de brigands.

Les crimes de notre révolution républicaine étoient l’ouvrage des passions, qui laissent toujours des ressources : il y avoit désordre et non pas destruction dans la société. La morale étoit blessée, mais elle n’étoit pas anéantie. La conscience avoit ses remords ; une indifférence destructive ne confondoit point l’innocent et le coupable : aussi les malheurs de ce temps auroient pu être promptement réparés. Mais comment guérir la plaie faite par un gouvernement qui posoit en principe le despotisme ; qui, ne parlant que de morale et de religion, détruisoit sans cesse la morale et la religion par ses institutions et ses mépris ; qui ne cherchoit point à fonder l’ordre sur le devoir et sur la loi, mais sur la force et sur les espions de police ; qui prenoit la stupeur de l’esclavage pour la paix d’une société bien organisée, fidèle aux coutumes de ses pères, et marchant en silence dans le sentier des antiques vertus ? Les révolutions les plus terribles sont préférables à un pareil état. Si les guerres civiles produisent les crimes publics, elles enfantent au moins les vertus privées, les talents et les grands hommes. C’est dans le despotisme que disparoissent les empires : en abusant de tous les moyens, en tuant les âmes encore plus que les corps, il amène tôt ou tard la dissolution et la conquête. Il n’y a point