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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/29

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années du règne de Louis XIV. La dépouille du monde, 1,500 millions de revenu ne lui suffisoient pas ; il n’étoit occupé qu’à grossir son trésor par les mesures les plus iniques. Chaque préfet, chaque sous-préfet, chaque maire avoit le droit d’augmenter les entrées des villes, de mettre des centimes additionnels sur les bourgs, les villages et les hameaux, de demander à tel propriétaire une somme arbitraire pour tel ou tel prétendu besoin. La France entière étoit au pillage. Les infirmités, l’indigence, la mort, l’éducation, les arts, les sciences, tout payoit un tribut au prince. Vous aviez un fils estropié, cul-de-jatte, incapable de servir : une loi de la conscription vous obligeoit à donner 1,500 francs pour vous consoler de ce malheur. Quelquefois le conscrit malade mouroit avant d’avoir subi l’examen du capitaine de recrutement ; vous supposiez alors le père exempt de payer les 1,500 francs de la réforme ? Point du tout. Si la déclaration de l’infirmité avoit été faite avant l’accident de la mort, le conscrit se trouvant vivant au moment de la déclaration, le père étoit obligé de compter la somme sur le tombeau de son fils. Le pauvre vouloit-il donner quelque éducation à l’un de ses enfants, il falloit qu’il comptât d’abord une somme à l’université, plus une redevance sur la pension donnée au maître. Un auteur moderne citoit-il un ancien auteur, comme les ouvrages de ce dernier étoient tombés dans ce qu’on appeloit le domaine public, la censure exigeoit un centime par feuille de citation. Si vous traduisiez en citant, vous ne payiez qu’un demi-centime par feuille, parce qu’alors la citation étoit du domaine mixte, la moitié appartenant au travail du traducteur vivant et l’autre moitié à l’auteur mort. Lorsque Buonaparte fit distribuer des aliments aux pauvres dans l’hiver de 1812, on crut qu’il tiroit cette générosité de son épargne : il leva à cette occasion des centimes additionnels, et gagna 4 millions sur la soupe des pauvres. Enfin, on l’a vu s’emparer de l’administration des funérailles : il étoit digne du destructeur des François de lever un impôt sur leurs cadavres. Et comment auroit-on réclamé la protection des lois, puisque c’étoit lui qui les faisoit ? Le corps législatif a osé parler une fois, et il a été dissous. Un seul article des nouveaux codes détruisoit rapidement la propriété. Un administrateur du domaine pouvoit vous dire : « Votre propriété est domaniale ou nationale. Je la mets provisoirement sous le séquestre : allez et plaidez. Si le domaine a tort, on vous rendra votre bien. » Et à qui aviez-vous recours en ce cas ? Aux tribunaux ordinaires ? Non : ces causes étoient réservées à l’examen du conseil d’État, et plaidées devant l’empereur, qui étoit ainsi juge et partie.

Si la propriété étoit incertaine, la liberté civile étoit encore moins