Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

COMPIÈGNE.

AVRIL 1814.

Le roi étoit annoncé au château de Compiègne pour le 29 avril ; une foule de personnes arrivoient continuellement de Paris ; toutes étoient, comme du temps de Henri IV, affamées de voir un roi. Les troupes en garnison ici[1] étoient composées d’un régiment suisse et de divers détachements de la garde à pied et à cheval. On voyoit sur les visages, dans l’attente du souverain, un certain mélange d’étonnement, de crainte, d’amour et de respect. Des courriers se succédoient d’heure en heure, annonçant l’approche du roi. Tout à coup on bat aux champs ; une voiture attelée de six chevaux entre dans la cour où se trouvoient rangés, sur deux lignes, des soldats suisses et les gardes nationaux de Compiègne ; ceux-ci portoient, en guise de ceinture, une large écharpe blanche ; des lanciers de la garde se tenoient à cheval à l’entrée de la cour, et les grenadiers à pied étoient placés au vestibule. La voiture s’arrête devant le perron ; on l’entoure de toutes parts ; on en voit descendre non le roi, mais un vénérable vieillard soutenu par son fils : c’étoit M. le prince de Condé et M. le duc de Bourbon. De vieux serviteurs de la maison de Condé, qui étoient accourus à Compiègne, poussent des cris en reconnoissant leur maître, se jettent sur ses mains et sur son habit, qu’ils baisent avec des sanglots. Ces princes n’étoient que deux, et tous les yeux cherchoient en vain le troisième ! Le comte de Lostanges s’étant nommé au prince de Condé, le prince lui a répondu : Ah ! oui, le comte de Lostanges ! vous étiez colonel de mon régiment d’Enghien ? et il lui jette les bras autour du cou. Le prince a monté l’escalier du vestibule, appuyé sur le bras de son fils, entre les grenadiers de la garde : j’ai vu, et tout le monde a vu comme moi, ces braves soldats couverts de blessures, portant la décoration de la Légion d’Honneur, une large cocarde blanche dans leurs bonnets de peau d’ours, pleurer en rendant le salut des armes aux deux Condé, à

  1. Compiègne.