Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/55

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ces représentants de l’ancienne gloire de la France, comme ces grenadiers eux-mêmes sont les dignes témoins de notre nouvelle gloire. Il est impossible de décrire la joie et la douleur que l’on ressentoit à la vue des deux derniers rejetons du vainqueur de Rocroi, de ces princes si braves, si illustres, si malheureux ! Ils étoient tout près de ce Chantilly qui n’existe plus : mais quand l’héritier manque, qu’importe l’héritage ?

Enfin, le roi lui-même est arrivé. Son carrosse étoit précédé des généraux et des maréchaux de France qui étoient allés au-devant de Sa Majesté. Ce n’a plus été des cris de vive le roi ! mais des clameurs confuses dans lesquelles on ne distinguoit rien que les accents de l’attendrissement et de la joie. Quand le roi est descendu de sa voiture, soutenu par Madame, duchesse d’Angoulême, la France a cru revoir son père. Ni le roi, ni Madame, ni les maréchaux, ni les soldats ne pouvoient parler. On ne s’exprimoit que par des larmes. Les moins attendris crioient encore : Vive le roi ! vive notre père ! et c’est tout ce qu’ils pouvoient dire. Le roi portoit un habit bleu, distingué seulement par une plaque et des épaulettes ; ses jambes étoient enveloppées de larges guêtres de velours rouge, bordées d’un petit cordon d’or. Il marche difficilement, mais d’une manière noble et touchante ; sa taille n’a rien d’extraordinaire ; sa tête est superbe, son regard est à la fois celui d’un roi et d’un homme de génie. Quand il est assis dans son fauteuil, avec ses guêtres à l’antique, tenant sa canne entre ses genoux, on croiroit voir Louis XIV à cinquante ans.

Madame étoit vêtue d’une simple robe blanche, sa tête étoit couverte d’un petit chapeau blanc à l’angloise. Si quelque chose sur la terre peut donner l’idée d’un ange par la beauté, la modestie, la candeur, c’est certainement la fille de Louis et d’Antoinette : ses traits sont un mélange heureux de ceux de son père et de sa mère ; une expression de douceur et de tristesse annonce dans ses regards ce qu’elle a souffert ; on remarque jusque dans ses vêtements, un peu étrangers, des traces de son long exil. Elle ne cessoit de répéter en pleurant et en riant à la fois : Que je suis heureuse d’être au milieu des bons François ! paroles bien dignes d’une princesse qui regrettoit, dans le palais de l’étranger les prisons de la France.

Parvenu dans l’appartement qui lui étoit préparé, le roi s’est assis au milieu de la foule. On lui a présenté les dames qui se trouvoient à Compiègne : il a adressé à chacune d’elles les paroles les plus obligeantes. La même présentation a eu lieu pour Madame. Le roi, un peu fatigué et prêt à se retirer, a dit à MM. les maréchaux et généraux : Messieurs, je suis heureux de me trouver au milieu de vous ; et il a ajouté