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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/58

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DE
L’ÉTAT DE LA FRANCE
AU 4 OCTOBRE 1814.


Accoutumés depuis longtemps aux prodiges, à peine remarquons-nous ceux qui se passent aujourd’hui sous nos yeux : il est vrai de dire cependant que de tous les miracles qui se sont opérés depuis quelques années, aucun n’est plus frappant que le bonheur actuel de la France. Pouvions-nous raisonnablement nous attendre à un calme aussi profond après une si longue tempête ? Pour mieux juger de notre position au mois d’octobre de cette année, rappelons-nous l’état où nous nous trouvions au mois de mars de cette même année.

La France étoit envahie depuis le Rhin jusqu’à la Loire, depuis les Alpes jusqu’aux montagnes de l’Auvergne, depuis les Pyrénées jusqu’à la Garonne. Paris étoit occupé par l’ennemi. Cinq cent mille Russes, Allemands, Prussiens, restés de l’autre côté du Rhin, étoient prêts à seconder les efforts de leurs compatriotes par une seconde invasion, qui auroit achevé la désolation de la France ; toute l’Espagne se préparoit à franchir les Pyrénées sur les traces de l’armée angloise, espagnole et portugaise. Plus d’un million de François avoient, en moins de treize mois, été appelés sur le champ de bataille. Un insensé, à qui l’on ne cessoit d’offrir la paix, s’obstinoit à arracher le dernier homme et le dernier écu à notre malheureuse patrie, pour soutenir au dehors un monstrueux système de guerre, au dedans une tyrannie plus monstrueuse encore. S’il parvenoit à prolonger la guerre, la France couroit le risque de ne plus offrir en quelques mois qu’un monceau de cendres ; s’il acceptoit enfin la paix, cette paix ne pouvoit plus être faite qu’à des conditions aussi déshonorantes pour lui que pour notre patrie : il auroit fallu payer des contributions énormes,