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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/69

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RÉFLEXIONS POLITIQUES

DÉCEMBRE 1814.

CHAPITRE PREMIER.
CAS EXTRAORDINAIRE.

Un juge établi sur un tribunal d’après les anciennes constitutions du pays, et non par le fait d’une révolution violente, a condamné un homme à mort. Cet homme a été justement condamné : il étoit coupable des plus grands crimes. Mais cet homme avoit un frère ; ce frère n’a pas pu et n’a pas dû se dépouiller des sentiments de la nature : ainsi, entre le juge du coupable et le frère de ce coupable, il ne pourra jamais s’établir aucune relation. Le cri du sang a pour toujours séparé ces deux hommes.

Un juge établi sur un tribunal d’après les anciennes constitutions du pays, et non par le fait d’une révolution violente, a condamné un homme à mort. Cet homme n’étoit pas coupable du crime dont on l’accusoit ; mais, soit prévarication, soit erreur, le juge a condamné l’innocence. Si cet homme a un frère, ce frère, bien moins encore que dans le premier cas, ne peut jamais communiquer avec le juge.

Enfin, un homme a condamné un homme à mort : l’homme condamné étoit innocent ; l’homme qui l’a condamné n’étoit point son juge naturel ; l’innocent condamné étoit un roi ; le prétendu juge étoit son sujet. Toutes les lois des nations, toutes les règles de la justice ont été violées pour commettre le meurtre. Le tribunal, au lieu d’exiger les deux tiers des voix pour prononcer la sentence, a rendu son arrêt à la majorité de quelques voix. Afin d’obtenir cette majorité, on a même été obligé de compter le vote des juges qui avoient prononcé la mort conditionnellement. Le monarque, conduit à l’échafaud, avoit un frère. Le juge qui a condamné l’innocent, le sujet qui a immolé son