Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/70

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roi, pourra-t-il se présenter aux yeux du frère de ce roi ? S’il ne peut se présenter devant lui, osera-t-il pourtant lui écrire ? S’il lui écrit, sera-ce pour se déclarer criminel, pour lui offrir sa vie en expiation ? Si ce n’est pour dévouer sa tête, c’est du moins pour révéler quelque secret important à la sûreté de l’État ! Non : il écrit à ce frère du roi pour se plaindre d’être injustement traité ; il pousse la plainte jusqu’à la menace ; il écrit à ce frère devenu roi, et dont, par conséquent, il est devenu le sujet, pour lui faire l’apologie du régicide, pour lui prouver, par la parole de Dieu et par l’autorité des hommes, qu’il est permis de tuer son roi. Joignant ainsi la théorie à la pratique, il se présente à Louis XVIII comme un homme qui a bien mérité de lui ; il vient lui montrer le corps sanglant de Louis XVI,

Et sa tête à la main demander son salaire.

Est-ce au fond d’un cachot, dans l’exaspération du malheur, que cette apologie du régicide est écrite ? L’auteur est en pleine liberté ; il jouit des droits des autres citoyens ; on voit à la tête de son ouvrage l’énumération de ses places et les titres de ses honneurs : places et honneurs dont quelques-uns lui ont été conférés depuis la restauration[1]. Le roi, sans doute transporté de douleur et d’indignation, a prononcé quelque arrêt terrible ? Le roi a donné sa parole de tout oublier.

CHAPITRE II.
PAROLES D’UN DES JUGES D’HARRISON.

Mais le monde, comme le roi, n’a pas donné sa parole ; il pourra rompre le silence. Par quelle imprudence des hommes qui devroient surtout se faire oublier sont-ils les premiers à se mettre en avant, à écrire, à dresser des actes d’accusation, à semer la discorde, à attirer sur eux l’attention publique ? Qui pensoit à eux ? Qui les accusoit ? Qui leur parloit de la mort du roi ? Qui les prioit de se justifier ? Que ne jouissoient-ils en paix de leurs honneurs ? Ils s’étoient vantés, dans d’autres écrits, d’avoir condamné Louis XVI à mort : eh bien, personne ne vouloit leur ravir cette gloire ! Ils disent qu’ils sont proscrits : est-il tombé un cheveu de leur tête ? ont-ils perdu quelque

  1. Mémoire au roi, par M. Carnot.