Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/71

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chose de leurs biens, de leur liberté ? Pourquoi, fidèles au souvenir de nos temps de malheurs, continuent-ils à accuser leurs victimes ? Y a-t-il beaucoup de courage et de danger à braver aujourd’hui un Bourbon ? Faut-il porter dans son sein un cœur de bronze pour affronter leur bonté paternelle ? Est-il bien glorieux de rompre le silence que l’on gardoit sous Buonaparte, pour venir dire de fières vérités à un monarque qui, assis, après vingt-cinq ans de douleurs, sur le trône sanglant de son frère, ne répand autour de lui qu’une miséricorde presque céleste ? Qu’arrive-t-il ? C’est que le public est enfin obligé d’entrer dans des questions qu’il eût mieux valu ne pas agiter.

Le colonel Harrison, un des juges de Charles Ier fut, après la restauration de Charles II, traduit devant un tribunal pour être jugé à son tour. Parmi les diverses raisons qu’il apporta pour sa défense, il fit valoir le silence que le peuple anglois avoit gardé jusque alors sur la mort de Charles Ier. Un des juges lui répondit : « J’ai ouï conter l’histoire d’un enfant devenu muet de terreur en voyant assassiner son père. L’enfant, qui avoit perdu l’usage de la voix, garda profondément gravés dans sa mémoire les traits du meurtrier : quinze ans après, le reconnoissant au milieu d’une foule, il retrouva tout à coup la parole, et s’écria : Voilà celui qui a tué mon père ! Harrison, le peuple anglois a cessé d’être muet ; il nous crie, en te regardant : Voilà celui qui a tué notre père[1] ! »

CHAPITRE III.
QUE LA DOCTRINE DU RÉGICIDE A PARU EN EUROPE
VERS LE MILIEU DU XVIe SIÈCLE. BUCHANAN. MARIANA.
SAUMAISE ET MILTON.

La doctrine du régicide n’est pas nouvelle : un peu après la mort de Henri III, il parut des écrits où l’on avançoit qu’il est permis à un peuple de se défaire d’un tyran : les justifications suivent les crimes. On examina à cette époque les opinions que nous avons cru appartenir à notre siècle. Ce ne furent pas seulement les protestants qui rêvèrent des républiques ; les catholiques se livrèrent aussi aux mêmes songes. Il est remarquable que les pamphlets de ces temps-là sont écrits avec une vigueur, une science, une logique, qu’on retrouve rarement aujourd’hui.

  1. The Judict. Arraign. Trial of twenty nine Regicides, p. 56.