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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/73

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Le grand argument de Milton étoit aussi celui des juges de Charles Ier. Il le trouvoit, comme Ludlow, dans ce texte de l’Écriture : « La terre ne peut être purifiée du sang qui a été répandu que par le sang de celui qui l’a répandu. »

Cet argument n’eût rien valu contre Louis XVI.

CHAPITRE IV.
PARALLÈLE.

Telle fut cette fameuse controverse. Ceux qui la rappellent aujourd’hui paroissent ignorer ce qu’on a dit et écrit avant eux sur ce sujet : tant ils sont faibles en preuves, en citations et en raisonnements ! De même que les régicides anglois, ils citent l’Écriture Sainte à l’appui de leur doctrine ; mais ils la citent vaguement, ou parce qu’ils la connoissent peu ou parce qu’ils sentent qu’elle ne leur est pas favorable. Les auteurs de la mort de Charles étoient pour la plupart des fanatiques de bonne foi, des chrétiens zélés qui, abusant du texte sacré, tuèrent leur souverain en conscience ; mais parmi nous, ceux qui font valoir l’autorité de l’Écriture dans une pareille cause ne pourroient-ils pas être soupçonnés de joindre la dérision au parricide ; de vouloir, par des citations tronquées, mal expliquées, troubler le simple croyant, tandis que pour eux-mêmes ces citations ne seroient que ridicules ? Employer ainsi l’incrédulité à immoler la foi ; justifier le meurtre de Louis XVI par la parole de Dieu, sans croire soi-même à cette parole ; égorger le roi au nom de la religion pour le peuple, au nom des lumières pour les esprits éclairés ; allumer l’autel du sacrifice au double flambeau du fanatisme et de la philosophie, ce seroit, il faut en convenir, une combinaison nouvelle.

Si les régicides anglois étoient, comme nous venons de le dire, des fanatiques de bonne foi, ils avoient encore un autre avantage. Ces hommes, couverts du sang de leur roi, étoient purs du sang de leurs concitoyens. Ils n’avoient pas signé la proscription d’une multitude d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards ; ils n’avoient pas apposé leurs noms, de confiance, au bas des listes de condamnés, après des noms très-peu faits pour inspirer cette confiance. Pourtant ces hommes qui n’avoient pas fait tout cela étoient en horreur : on les fuyoit comme s’ils avoient eu la peste, on les tuoit comme des bêtes fauves. Qu’il étoit à craindre que cet effrayant exemple n’entraînât les François ! Et cependant, que disons-nous à certains hommes ? Rien.