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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/78

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jour du combat que l’on connoît ses forces. Nous ne devons point juger à la rigueur ce qui a été dit ou fait sous la pointe du poignard ; dans ce cas une bonne intention présumée fait l’innocence ; le reste est du temps et de l’infirmité humaine.

Il faut encore faire une classe à part de ceux qui, appelés depuis la mort du roi aux grandes places de l’État, ont tâché d’expier leurs premières erreurs en sauvant des victimes, en résistant avec courage aux ordres sanglants de la tyrannie, et qui depuis la Restauration ont montré par leur obéissance et leur désir d’être utiles à la monarchie combien ils étoient sensibles à la miséricorde du roi.

Voilà donc le foible bataillon de ceux qui se croient si forts diminué de tout ce qui ne doit pas entrer dans leurs rangs. Ils se trompent encore davantage lorsqu’ils s’écrient qu’ils sont la sauvegarde de quiconque a participé à nos troubles. Il seroit, au contraire, bien plus vrai de dire que si quelque chose a pu alarmer les esprits, c’est le pardon accordé aux juges du roi.

Ce pardon a quelque chose de surhumain, et les hommes seroient presque tentés de n’y pas croire : l’excès de la vertu fait soupçonner la vertu. On seroit disposé à dire : « Le roi ne peut traiter ainsi les meurtriers de son frère ; et puisqu’il pardonne à tous, c’est que dans le fond de sa pensée il ne pardonne à personne. » Ainsi le respect pour la vie, la liberté, la fortune, les honneurs de ceux qui ont voté la mort du roi, au lieu de tranquilliser la foule, eût pu servir à l’inquiéter.

Mais le roi ne veut proscrire personne : il est fort, très-fort ; aucune puissance ne pourroit aujourd’hui ébranler son trône. S’il vouloit frapper, il n’auroit besoin d’attendre ni d’autres temps ni d’autres circonstances ; il n’a aucune raison de dissimuler. Il ne punit pas, parce que, comme son frère, de douloureuse et sainte mémoire, la miséricorde est son partage, et que, comme Louis XVI encore, il ne voudroit pas pour sauver sa vie répandre une seule goutte de sang françois. Il a de plus donné sa parole. Aucun François, à son exemple, ne désire ni vengeances ni réactions. Que demande-t-on à ceux qui ont été assez malheureux pour condamner à mort le fils de saint Louis et d’Henri IV ? Qu’ils jouissent en paix de ce qu’ils ont acquis ; qu’ils élèvent tranquillement leurs familles. Il n’est pas cependant si dur, lorsqu’on approche de la vieillesse, qu’on a passé l’âge de l’ambition, qu’on a connu les choses et les hommes, qu’on a vécu au milieu du sang, des troubles et des tempêtes, il n’est pas si dur d’avoir un moment pour se reconnoître, avant d’aller où Louis XVI est allé. Louis XVI a fait le voyage, non pas dans la plénitude de ses jours, non pas lentement,