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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/79

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non pas environné de ses amis, non pas avec tous les secours et toutes les consolations, mais jeune encore, mais pressé, mais seul, mais nu ; et cependant il l’a fait en paix.

Ceux qui l’ont contraint de partir si vite veulent-ils prouver au monde qu’ils sont dignes de la clémence dont ils sont l’objet ? Qu’ils n’essayent plus d’agiter les esprits, de semer de vaines craintes. Tout bon François doit aujourd’hui renfermer dans son cœur ses propres mécontentements, en eût-il de raisonnables. Quiconque publie un ouvrage dans le but d’aigrir les esprits, de fomenter des divisions, est coupable. La France a besoin de repos : il faut verser de l’huile dans nos plaies, et non les ranimer et les élargir. On n’est point injuste envers les hommes dont nous parlons : plusieurs ont des talents, des qualités morales, un caractère ferme, une grande capacité dans les affaires et l’expérience des hommes. Enfin, si quelque chose les blesse dans la restauration de la monarchie, qu’ils songent à ce qu’ils ont fait, et qu’ils soient assez sincères pour avouer que les misères dont ils se choquent sont bien peu de chose au prix des erreurs où ils sont eux-mêmes tombés.

CHAPITRE VI.
DES ÉMIGRÉS EN GÉNÉRAL.

Nous trouvons dans les pamphlets du jour beaucoup d’aigreur contre cette classe de François malheureux, et toujours le triste sujet de la mort du roi revient au milieu de ces plaintes : « Ce sont les émigrés qui ont tué le roi ; ce sont les émigrés qui nous rapportent des fers ; ce sont eux qui accusent de tous les crimes les hommes amis de la liberté : il faut avoir été Vendéen, Chouan, Cosaque, Anglois, pour être bien accueilli à la cour : et pourtant qu’a fait la noblesse, qu’a fait le clergé pour le roi ? etc. »

On dit qu’un homme est la cause de la mort de son ami lorsque cet homme, jugeant mal d’un événement, a choisi pour sauver son ami, un moyen qui ne l’a pas sauvé ; mais s’est-on jamais imaginé de prendre à la lettre cette expression hyperbolique ? A-t-on jamais comparé sérieusement le meurtrier réel d’un homme avec l’ami de cet homme ? Pour soutenir une cause qu’il eût mieux valu ne pas rappeler, comment un esprit éclairé n’a-t-il pu trouver que ce misérable sophisme ?

L’émigration étoit-elle une mesure salutaire ou funeste ? On peut