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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/82

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manoir de l’émigré, de lui préparer à lui-même une retraite dans ces hôpitaux fondés par ses ancêtres, et où son bien sert aujourd’hui à donner aux pauvres un lit qu’il n’a plus. Ce n’est pas nous qui faisons cette peinture, ce sont des membres de la chambre des députés, qui n’ont point vu dans ces infortunés des triomphateurs, mais des victimes.

Et ces Vendéens, et ces chouans, à qui tout est réservé, vous importunent de leur faveur, de leur éclat ! Leur pauvreté honorable, leur habit aussi ancien que leur fidélité, leur air étranger dans les palais, ont été pourtant l’objet de vos railleries, lorsque ces loyaux serviteurs sont accourus du fond de la France à la grande, à la merveilleuse nouvelle du retour inespéré de leur roi. Jetons les yeux autour de nous, et tâchons, si nous le pouvons, d’être justes. Par qui la presque totalité des grandes et des petites places est-elle occupée ? Est-ce par des chouans, des Vendéens, des Cosaques, des émigrés, ou par des hommes qui servoient l’autre ordre de choses ? On n’envie point, on ne reproche point les places à ces derniers : mais pourquoi dire précisément le contraire de ce qui est ? Il n’étoit pas si frappé de la prospérité des émigrés, ce maréchal de France qui a sollicité quelques secours pour de pauvres chevaliers de Saint-Louis : « Car, disoit-il noblement, ou il faut leur ôter leur décoration, ou leur donner le moyen de la porter. » Sous l’uniforme françois, il ne peut y avoir que des sentiments généreux.

Le véritable langage à tenir sur les émigrés, pour être équitable, c’est de dire que la vente de leurs biens est une des plus grandes injustices que la révolution ait produites ; que l’exemple d’un tel déplacement de propriétés au milieu de la civilisation de l’Europe est le plus dangereux qui ait jamais été donné aux hommes ; qu’il n’y aura peut-être point de parfaite réconciliation entre les François, jusqu’à ce qu’on ait trouvé le moyen, par de sages tempéraments, des indemnités, des transactions volontaires, de diminuer ce que la première injustice a de criant et d’odieux. On ne s’habituera jamais à voir l’enfant mendier à la porte de l’héritage de ses pères. Voilà ce qu’il y a de vrai d’un côté. Il est vrai, de l’autre, que le roi ni les chambres n’ont pu violemment réparer une injustice par des actes qui auroient compromis la tranquillité de l’État ; car enfin on a acheté sous la garantie des lois : les propriétés vendues ont déjà changé de main ; il est survenu des enfants, des partages. En touchant à ces ventes, on troubleroit de nouvelles familles, on causeroit de nouveaux bouleversements. Il faut donc employer pour guérir cette plaie les remèdes doux qui viennent du temps ; il faut qu’un esprit de paix