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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/81

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dans la foule le char des proscriptions pour bénir en passant vos victimes ; demandez-le à toute l’Europe, qui a vu le clergé françois suivre dans ses tribulations le fils aîné de l’Église, dernière pompe attachée à ce trône errant, que la religion accompagnoit encore lorsque le monde l’avoit abandonné. Que font-ils aujourd’hui ces prêtres qui vous importunent ? Ils ne donnent plus le pain des la charité, ils le reçoivent. Les successeurs de ceux qui ont défriché les Gaules, qui nous ont enseigné les lettres et les arts, ne font point valoir les services passés ; ceux qui formoient le premier ordre de l’État sont peut-être les seuls qui ne réclament point quelque droit politique ; sublime exemple donné par les disciples de celui dont le royaume n’étoit pas de ce monde ! Tant d’illustres évêques, doctes confesseurs de la foi, ont quitté la crosse d’or pour reprendre le bâton des apôtres. Ils ne réclament de leur riche patrimoine que les trésors de l’Évangile, les pauvres, les infirmes, les orphelins, et tous ces malheureux que vous avez faits.

Ah ! qu’il faudroit mieux éviter ces récriminations, effacer ces souvenirs, détruire jusqu’à ces noms d’émigrés, de royalistes, de fanatiques, de révolutionnaires, de républicains, de philosophes, qui doivent aujourd’hui se perdre dans le sein de la grande famille ! Les émigrés ont eu peut-être leurs torts, leurs foiblesses, leurs erreurs ; mais dire à des infortunés qui ont tout sacrifié pour le roi que ce sont eux qui ont tué le roi, cela est aussi trop insensé et trop cruel ! Et qui est-ce qui leur dit cela, grand Dieu !

Les émigrés nous apportent des fers. On regarde, et l’on voit d’un côté un roi qui nous apporte une Charte, telle que nous l’avions en vain cherchée, et où se trouvent les bases de cette liberté qui servit de prétexte à nos fureurs ; un roi qui pardonne tout, et dont le retour n’a coûté à la France ni une goutte de sang ni une larme ; on voit quelques François qui rentrent à moitié nus dans leur patrie, sans secours, sans protections, sans amis ; qui ne retrouvent ni leurs toits ni leurs familles ; qui passent sans se plaindre devant leur champ paternel labouré par une charrue étrangère, et qui mangent à la porte de leurs anciennes demeures le pain de la charité. On est obligé de faire pour eux des quêtes publiques : l’homme de Dieu[1] qui les suit comme par l’instinct du malheur est revenu avec eux des terres lointaines ; il est revenu établir parmi nous, pour leurs enfants, les écoles qu’alimentoit la piété des Anglois. Il ne manqueroit plus, pour couronner l’œuvre, que d’établir ces écoles dans un coin de l’antique

  1. M. l’abbé Carron.