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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 7.djvu/91

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CHAPITRE XI.
PASSAGE D’UNE PROCLAMATION DU ROI.

Voici un autre grief : « Le roi a dit, dans une de ses proclamations, que tout le monde conserveroit ses places, et cependant quelques personnes les ont perdues. »

Le reproche est étrange ! Le roi a-t-il pu prendre l’engagement de ne déplacer absolument qui que ce fût ? Quoi ! par le seul fait de la présence du roi, toutes les places de l’État seroient devenues places à vie ! le moindre commis à la barrière se seroit trouvé dans le cas du chancelier ! Le moyen alors de gouverner ? Louis XVIII, comme Hugues Capet, auroit confirmé ou établi en arrivant le système des fiefs ! il y auroit eu autant de petits et de grands souverains qu’il y a de grandes et de petites places en France ! il ne restoit plus qu’à les rendre héréditaires. Le roi n’auroit pu renvoyer un juge prévaricateur, un receveur infidèle, un homme repoussé par l’opinion publique : il auroit fallu nommer dans tous ces cas un administrateur en attendant la démission ou la mort du titulaire.

Que veut donc dire cette phrase : « Tout le monde conservera ses places ? » Elle veut dire, selon le sens commun, que tout homme contre lequel il n’y aura pas de raisons invincibles, soit du côté de la capacité, soit sous le rapport moral, restera dans le poste où le roi l’aura trouvé, ou bien qu’il sera appelé à d’autres fonctions ; elle veut dire qu’on ne sacrifiera pas un parti à un autre ; que le nom de royaliste et de républicain ne sera ni un droit d’admission ni une cause d’exclusion, et qu’enfin les seuls et véritables titres aux places seront la probité et l’intelligence. Dans ce cas le roi n’a-t-il pas suivi exactement ce qu’il avoit promis ? Nous avons déjà fait remarquer que la presque totalité des emplois étoit entre les mains des personnes qui ont servi l’ordre de choses détruit par la restauration.

De la plainte générale passant à la plainte particulière, on cite les membres du sénat qui n’ont pas été admis dans la chambre des pairs. Il ne falloit pas toucher une pareille question, il ne falloit pas rappeler au public que tel homme qui a fait tomber la tête de Louis XVI reçoit une pension de 36,000 francs de la main de Louis XVIII. Loin de se plaindre il falloit se taire ; il falloit sentir que de pareils exemples produisent un tout autre effet que d’attirer l’intérêt sur ceux dont on se fait les défenseurs. Tant de malheureux pros-