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de l'histoire de France.

DE L HISTOIRE DE FRANCE. 81

servitudes soient ramenées à franchises, et à touts ceux qui de ourine, ou ancienneté, ou de nouvel par mariage, ou par résidence de lieus de serve condition, sont encheües ou pourroient escheoir en liens de servitudes, franchise soit donnée o bonnes et convenables conditions. »

L’esprit philosophique de cette loi, ses considérations générales sur la liberté, qui est un droit de nature, contrastent avec l’enfance du dialecte : les idées sont plus vieilles que la langue. Des historiens ont pensé que ces lettres ne furent qu’un moyen de finances imaginé dans le but d’obtenir, par le rachat du servage, un argent dont on avait grand besoin. La remarque de ces historiens fût-elle vraie, je dirais encore : Peu importe comment la liberté arrive aux hommes, pourvu qu’elle leur arrive ; toutes les interprétations possibles ne détruisent pas un fait indicateur d’une importante révolution commencée dans l’état social. Mais la remarque tombe à faux : le roi, en affranchissant ses serfs, gens de corps, gens de poueste, gens de morte-main, diminuait ses revenus, car les serfs étaient soumis à certaines taxes : il était donc équitable que la couronne, en accordant la liberté, ne le fît pas aux dépens de sa force ; c’est que l’ordonnance exprime très-bien : «Vous commettons (collecteurs, sergents, etc.) et mandons, pour traitez et accordez avec eus (serfs) de certaines compositions, par lesquelles soffisant recompensation nous soit faicte des émoluments qui desdites servitudes povent venir à nous et à nos successeurs. »

Si les idées étaient plus vieilles que le langage, il se trouve encore que le roi devançait le peuple : très-peu de serfs consentirent à se racheter. On voit d’autres lettres par lesquelles Louis X déclare que plusieurs n’ont pas connu la grandeur du bienfaict qui leur estoit accordé, et ordonne qu’on les contraigne à payer de grosses sommes, c’est-à-dire qu’on les oblige à devenir libres. Toute révolution qui n’est pas accomplie dans les mœurs et dans les idées échoue : la dégradation qu’amène la dépendance est, pour l’être accoutumé à obéir, une sorte de tempérament, une nature qui accomplit ses lois dans le dernier ordre de l’intelligence : or il y a dans les