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On me nomme Chactas (page 10).
retire en souriant devant lui. On vit alors paraître un vieillard. Le ciel avait voulu l’éprouver : ses yeux ne voyaient plus la lumière du jour. Il cheminait tout courbé, s’appuyant d’un côté sur le bras d’une jeune femme, de l’autre sur un bâton de chêne.

Le patriarche du désert se promenait au milieu de la foule charmée ; les sachems mêmes paraissaient saisis de respect, et faisaient, en le suivant, un cortège de siècles au vénérable homme qui jetait tant d’éclat et attirait tant d’amour sur le vieil âge.

René et ses guides l’ayant salué à la manière de l’Europe, le sauvage, averti, s’inclina à son tour devant eux, et, prenant la parole dans leur langue maternelle, il leur dit : « Étrangers, j’ignorais votre présence parmi nous. Je suis fâché que mes yeux ne puissent voir ; j’aimais autrefois à contempler mes hôtes et à lire sur leur front s’ils étaient aimés du ciel. » Il se tourna ensuite vers la foule qu’il entendait autour de lui : « Natchez, comment avez-vous laissé ces Français si longtemps seuls ? Êtes-vous assurés que vous ne serez jamais voyageurs loin de votre terre natale ? Sachez que toutes les fois qu’il arrive parmi vous un étranger, vous devez, un pied nu dans le fleuve et une main étendue sur les eaux, faire un sacrifice au Meschacebé, car l’étranger est aimé du Grand-Esprit. »

Près du lieu où parlait ainsi le vieillard se voyait un catalpa au tronc noueux, aux rameaux étendus et chargés de fleurs : le vieillard ordonne à sa fille de l’y conduire. Il s’assied au pied de l’arbre avec René et les guides. Des enfants montés sur les branches du catalpa éclairaient avec des flambeaux la