Page:Chateaubriand - Les Natchez, 1872.djvu/138

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Glazirne prit son nourrisson, le mit à une de ses mamelles,
suspendit à l’autre l’enfant de Célita et s’assit à terre.
sa passion, elle crut pouvoir lutter avec sa rivale, et descendit dans l’arène. Les mouvements de la femme jalouse étaient durs ; ses mains s’agitaient par convulsions, ses pas se marquaient par intervalles courts et précipités ; le crime avait l’air de peser sur le ressort qui la faisait tressaillir. Honteux pour elle, le tuteur du Soleil détourna la vue : la femme-chef s’en aperçut, et, n’ayant le courage ni de cesser, ni de continuer la danse, elle se mit à tourner sur elle-même avec des espèces de hurlements.

Alors Mila, qui voulut tenir compagnie à sa sœur et se rire d’Akansie, vint voltiger sur le gazon. Ses pieds et ses bras se déploient par des mouvements onduleux ; elle se balance comme un jeune peuplier caressé des brises : le sourire de l’amour est sur ses lèvres, l’ivresse du plaisir dans ses yeux ; c’est un faon qui bondit, un oiseau qui vole ; elle se joue, flotte, nage dans l’air comme un papillon.

Le contraste qu’offraient les trois femmes étonnait les Natchez et les Français présents à la fête : c’étaient la douleur, la jalousie et le plaisir qui mêlaient leurs pas. Un hymne ordinairement chanté à cette cérémonie était répété en dialogue par les danseuses ; Céluta disait :

« Retire-toi, vagabonde du désert ; le bruit de tes pleurs est pour moi plus détestable que celui de l’ondée qui perd la moisson : je hais les infortunes. Ma cabane se plaît dans la solitude : jamais un tombeau ne m’a détournée de mon chemin ; je le foule aux pieds, et je passe sur son gazon. »

La femme-chef répondait :

« Je suis étrangère, je suis le serpent noir qui ne fait point de mal. Mon époux est loin, mon enfant va mourir : matrone de la cabane solitaire, sois bonne, donne à manger à ma faim ; les génies t’en récompenseront : celui que tu aimes ne sera jamais loin, ni ton enfant prêt à mourir.

Mila répliquait :

« Viens dans ma cabane, viens, pauvre étrangère : malheur à qui repousse l’infortuné ! Viens, n’implore plus cette matrone. C’est une femme de sang : ses mains sont homicides, les lèvres de son enfant ne caressaient point son sein ; elles la faisaient souffrir. Lorsque son enfant lui disait : « Ma mère ! » elle n’avait jamais besoin de sourire. Viens dans ma ca-