Page:Chateaubriand - Les Natchez, 1872.djvu/66

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le Jongleur (Grand-Prêtre) des Natchez.

« Je m’assis au pied du magnolia, et je m’entretins avec la foule de mes souvenirs. — Peut-être, me disais-je, selon ma religion du désert, est-ce ma mère elle-même qui est revenue dans sa cabane, sous la forme de ce bel arbre !

« Ensuite je caressais le tronc de ce suppliant réfugié au foyer de mes ancêtres, et qui s’en était fait le génie domestique pendant l’ingrate absence des amis de ma famille. J’aimais à retrouver pour successeur sous mon toit héréditaire, non les fils indifférents des hommes, mais une paisible génération d’arbres et de fleurs : la conformité des destinées, qui semblait exister entre moi et le magnolia demeuré seul debout parmi ces ruines, m’attendrissait. N’était-ce pas aussi une rose de magnolia que j’avais donnée à la fille de Lopez, et qu’elle emporta dans la tombe ?

« Plein de ces pensées qui font le charme intérieur de l’âme, je songeais à rétablir ma hutte, à consacrer le magnolia à la mémoire d’Atala, lorsque j’entendis quelque bruit. Un sachem, aussi vieux que la terre, se présente sous les lierres de la porte : une barbe épaisse ombrageait son menton, sa poitrine était hérissée d’un long poil semblable aux herbes qui croissent dans le lit des fleuves ; il s’appuyait sur un roseau ; une ceinture de joncs pressait ses reins ; une couronne de fleurs de marais ornait sa tête ; un manteau de loutre et de castor flottait suspendu à ses épaules ; il paraissait sortir du fleuve, car l’eau ruisselait de ses vêtements, de sa barbe et de ses cheveux.

« Je n’ai jamais su si ce vieillard était en effet quelque antique sachem, quelque prêtre instruit de l’avenir et habitant une île du Meschacebé, ou si ce n’était pas l’ancêtre des fleuves, le Meschacebé lui même. « Chactas, me dit-il d’un son de voix semblable au bruit de la chute d’une onde, cesse de méditer le rétablissement de cette cabane. En disputeras-tu la possession contre un génie, ô le plus imprudent des hommes ? Crois-tu donc être arrivé à la fin de tes travaux, et qu’il ne te reste plus qu’à t’asseoir sur la natte de tes pères ? Un jour viendra que le sang des Natchez… »

« Il s’interrompt, agite le roseau qu’il tenait à la main, me lance des regards prophétiques, tandis que, baissant et relevant la tête, sa barbe limoneuse