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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Durant les jours de fête que je viens de rappeler, j’étais conduit en station avec mes sœurs aux divers sanctuaires de la ville, à la chapelle de Saint-Aaron, au couvent de la Victoire ; mon oreille était frappée de la douce voix de quelques femmes invisibles : l’harmonie de leurs cantiques se mêlait aux mugissements des flots. Lorsque, dans l’hiver, à l’heure du salut, la cathédrale se remplissait de la foule ; que de vieux matelots à genoux, de jeunes femmes et des enfants lisaient, avec de petites bougies, dans leurs Heures ; que la multitude, au moment de la bénédiction, répétait en chœur le Tantum ergo ; que, dans l’intervalle de ces chants, les rafales de Noël frôlaient les vitraux de la basilique, ébranlaient les voûtes de cette nef que fit résonner la mâle poitrine de Jacques Cartier et de Duguay-Trouin, j’éprouvais un sentiment extraordinaire de religion. Je n’avais pas besoin que la Villeneuve me dît de joindre les mains pour invoquer Dieu par tous les noms que ma mère m’avait appris ; je voyais les cieux ouverts, les anges offrant notre encens et nos vœux ; je courbais mon front : il n’était point encore chargé de ces ennuis qui pèsent si horriblement sur nous, qu’on est tenté de ne plus relever la tête lorsqu’on l’a inclinée au pied des autels.

Tel marin, au sortir de ces pompes, s’embarquait tout fortifié contre la nuit, tandis que tel autre rentrait au port en se dirigeant sur le dôme éclairé de l’église : ainsi la religion et les périls étaient continuellement en présence, et leurs images se présentaient inséparables à ma pensée. À peine étais-je né, que j’ouïs parler de mourir : le soir, un homme allait