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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

feu, leur annonce le malheur et la capitulation des émigrés. On le voulut sauver, en lui filant une corde et le conjurant de monter à bord : « Je suis prisonnier sur parole, » s’écrie-t-il du milieu des flots, et il retourne à terre à la nage : il fut fusillé avec Sombreuil et ses compagnons[1].

Gesril a été mon premier ami ; tous deux mal jugés dans notre enfance, nous nous liâmes par l’instinct de ce que nous pouvions valoir un jour[2].

  1. Gesril du Papeu (Joseph-Francois-Anne) avait un an de plus que son ami Chateaubriand ; il était né à Saint-Malo le 23 février 1767. Entré dans la marine, comme garde, à quatorze ans, il prit part à la guerre de l’Indépendance américaine et fit ensuite une campagne de trois ans dans les mers de l’Inde et de la Chine. Lieutenant de vaisseau, le 9 octobre 1789, il ne tarda pas à émigrer, fit la campagne des Princes en 1792, comme simple soldat, et se rendit ensuite à Jersey. Le 21 juillet 1795, il était à Quiberon, cette fois comme lieutenant de la compagnie noble des élèves de la marine, dans le régiment du comte d’Hector. L’épisode dont il fut le héros dans cette tragique journée suffirait seul à prouver que Sombreuil et ses soldats n’ont mis bas les armes qu’à la suite d’une capitulation. Ceux qui nient l’existence de cette capitulation l’ont bien compris : ils ont essayé de contester l’acte même de Gesril et son généreux sacrifice. Mais ce sacrifice et les circonstances qui l’accompagnèrent sont attestés par trop de témoins pour qu’on puisse les mettre en doute. Ces témoins sont de ceux dont la parole ne se peut récuser : En voici la liste : 1o Chaumereix ; 2o Berthier de Grandry ; 3o La Bothelière, capitaine d’artillerie ; 4o Cornulier-Lucinière ; 5o La Tullaye ; 6o Du Fort ; 7o le contre-amiral Vossey ; 8o le baron de Gourdeau ; 9o le capitaine républicain Rottier, de la légion nantaise. Le fait, d’ailleurs, est consigné dans une lettre écrite des prisons de Vannes par Gesril du Papeu à son père. Le jeune héros fut fusillé à Vannes, le 10 fructidor (27 août 1795).
  2. « Je pense avec orgueil que cet homme a été mon premier ami, et que tous les deux, mal jugés dans notre enfance, nous nous liâmes par l’instinct de ce que nous pouvions valoir un jour, et que c’est dans le coin le plus obscur de la monarchie,