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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Deux aventures mirent fin à cette première partie de mon histoire, et produisirent un changement notable dans le système de mon éducation.

Nous étions un dimanche sur la grève, à l’éventail de la porte Saint-Thomas et le long du Sillon ; de gros pieux enfoncés dans le sable protègent les murs contre la houle. Nous grimpions ordinairement au haut de ces pieux pour voir passer au-dessous de nous les premières ondulations du flux. Les places étaient prises comme de coutume ; plusieurs petites filles se mêlaient aux petits garçons. J’étais le plus en pointe vers la mer, n’ayant devant moi qu’une jolie mignonne, Hervine Magon, qui riait de plaisir et pleurait de peur. Gesril se trouvait à l’autre bout du côté de la terre.

Le flot arrivait, il faisait du vent ; déjà les bonnes et les domestiques criaient : « Descendez, mademoiselle ! descendez, monsieur ! » Gesril attend une grosse lame : lorsqu’elle s’engouffre entre les pilotis, il pousse l’enfant assis auprès de lui ; celui-là se renverse sur un autre ; celui-ci sur un autre : toute la file s’abat comme des moines de cartes, mais chacun est retenu par son voisin ; il n’y eut que la petite fille de l’extrémité de la ligne sur laquelle je chavirai et qui, n’étant appuyée par personne, tomba. Le jusant l’entraîne ; aussitôt mille cris, toutes les bonnes retroussant leurs robes et tripotant dans la mer, chacune saisissant son marmot et lui donnant une tape. Her-

    sur un misérable rocher, que sont nés ensemble et presque sous le même toit deux hommes dont les noms ne seront peut-être pas tout à fait inconnus dans les annales de l’honneur et de la fidélité. » Manuscrit de 1826.