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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Le roi revint au Val ; il était gai et contait les accidents de la chasse. On reprit le chemin de Versailles. Nouveau désappointement pour mon frère : au lieu d’aller m’habiller pour me trouver au débotté, moment de triomphe et de faveur, je me jetai au fond de ma voiture et rentrai dans Paris plein de joie d’être délivré de mes honneurs et de mes maux. Je déclarai à mon frère que j’étais déterminé à retourner en Bretagne.

Content d’avoir fait connaître son nom, espérant amener un jour à maturité, par sa présentation, ce qu’il y avait d’avorté dans la mienne, il ne s’opposa pas au départ d’un esprit aussi biscornu[1].

Telle fut ma première vue de la ville et de la cour. La société me parut plus odieuse encore que je ne l’avais imaginé ; mais si elle m’effraya, elle ne me découragea pas ; je sentis confusément que j’étais supérieur à ce que j’avais aperçu. Je pris pour la cour un dégoût invincible ; ce dégoût, ou plutôt ce mépris que je n’ai pu cacher, m’empêchera de réussir ou me fera tomber du plus haut point de ma carrière.

Au reste, si je jugeais le monde sans le connaître, le monde, à son tour, m’ignorait. Personne ne devina à mon début ce que je pouvais valoir, et quand je revins à Paris, on ne le devina pas davantage. Depuis ma triste célébrité, beaucoup de personnes m’ont dit : « Comme nous vous eussions remarqué, si nous vous

  1. Le Mémorial historique de la Noblesse a publié un document inédit annoté de la main du roi, tiré des Archives du royaume, section historique, registre M 813 et carton M 814 ; il contient les Entrées. On y voit mon nom et celui de mon frère : il prouve que ma mémoire m’avait bien servi pour les dates. (Notes de Paris, 1840.) Ch.