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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

sur les états généraux. Les enregistrements forcés, les lits de justice, les exils, en rendant les magistrats populaires, les poussaient à demander des libertés dont au fond ils n’étaient pas sincères partisans. Ils réclamaient les états généraux, n’osant avouer qu’ils désiraient pour eux-mêmes la puissance législative et politique ; ils hâtaient de la sorte la résurrection d’un corps dont ils avaient recueilli l’héritage, lequel, en reprenant la vie, les réduirait tout d’abord à leur propre spécialité, la justice. Les hommes se trompent presque toujours dans leur intérêt, qu’ils se meuvent par sagesse ou passion : Louis XVI rétablit les parlements qui le forcèrent à appeler les états généraux ; les états généraux, transformés en assemblée nationale et bientôt en Convention, détruisirent le trône et les parlements, envoyèrent à la mort et les juges et le monarque de qui émanait la justice. Mais Louis XVI et les parlements en agirent de la sorte, parce qu’ils étaient, sans le savoir, les moyens d’une révolution sociale.

L’idée des états généraux était donc dans toutes les têtes, seulement on ne voyait pas où cela allait. Il était question, pour la foule, de combler un déficit que le moindre banquier aujourd’hui se chargerait de faire disparaître. Un remède si violent, appliqué à un mal si léger, prouve qu’on était emporté vers des régions politiques inconnues. Pour l’année 1786, seule année dont l’état financier soit bien avéré, la recette était de 412 924 000 livres, la dépense de 593 542 000 livres ; déficit 180 618 000 livres, réduit à 140 millions, par 40 618 000 livres d’économie. Dans ce budget, la maison du roi est portée à l’immense somme