Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t1.djvu/343

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page a été validée par deux contributeurs.
277
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Rappelé au ministère le 25 juillet, inauguré, accueilli par des fêtes, M. Necker, troisième successeur de Turgot, après Calonne et Taboureau[1] fut bientôt dépassé par les événements, et tomba dans l’impopularité. C’est une des singularités du temps qu’un aussi grave personnage eût été élevé au poste de ministre par le savoir-faire d’un homme aussi médiocre et aussi léger que le marquis de Pezay[2]. Le Compte rendu[3], qui substitua en France le système de l’emprunt à celui de l’impôt, remua les idées : les femmes discutaient de dépenses et de recettes ; pour la première fois, on voyait ou l’on croyait voir quelque chose dans la machine à chiffres. Ces calculs, peints d’une couleur à la Thomas[4], avaient établi la première réputation du directeur général des finances. Habile teneur de caisse, mais économiste sans expédient ; écrivain noble, mais

  1. Taboureau des Réaux, intendant de Valenciennes. Il fut contrôleur général des finances, du 22 octobre 1776 au 29 juin 1777.
  2. Alexandre-Frédéric-Jacques Masson, marquis de Pezay (1741-1777), traducteur de Catulle et de Tibulle, auteur de Zélis au bain, de la Lettre d’Alcibiade à Glycère, etc. Très avant dans la faveur du premier ministre, le comte de Maurepas, il eut une très grande part à l’entrée de Necker aux affaires, en 1776 (J. Droz, Histoire du règne de Louis XVI, tome I, p. 219).
  3. Sous ce titre : Compte rendu au Roi, le ministre Necker avait publié, en 1780, un exposé ou plutôt un aperçu, non du budget réel, mais d’un budget-type, se soldant, comme de raison, par un fort excédent. Pour la première fois, l’opinion publique était ainsi appelée à connaître, par conséquent à juger l’administration des finances. La sensation produite par le Compte rendu fut prodigieuse.
  4. Antoine-Léonard Thomas (1732-1785), membre de l’Académie française, qui lui avait décerné une fois le prix de poésie et cinq fois le prix d’éloquence. « Il a de la force, dit La Harpe, mais elle est emphatique. »