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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

temps de prendre des mesures contre les aristocrates et de s’élever à la hauteur des circonstances. » Le président assurait ces citoyens de son respect : « On a l’œil sur les traîtres, répondait-il, et l’Assemblée fera justice. » Là-dessus, nouveau vacarme ; les députés de droite s’écriaient qu’on allait à l’anarchie ; les députés de gauche répliquaient que le peuple était libre d’exprimer sa volonté, qu’il avait le droit de se plaindre des fauteurs du despotisme, assis jusque dans le sein de la représentation nationale : ils désignaient ainsi leurs collègues à ce peuple souverain, qui les attendait au réverbère.

Les séances du soir l’emportaient en scandale sur les séances du matin : on parle mieux et plus hardiment à la lumière des lustres. La salle du manège était alors une véritable salle de spectacle, où se jouait un des plus grands drames du monde. Les premiers personnages appartenaient encore à l’ancien ordre de choses : leurs terribles remplaçants, cachés derrière eux, parlaient peu ou point. À la fin d’une discussion violente, je vis monter à la tribune un député d’un air commun, d’une figure grise et inanimée, régulièrement coiffé, proprement habillé comme le régisseur d’une bonne maison, ou comme un notaire de village soigneux de sa personne. Il fit un rapport long et ennuyeux ; on ne l’écouta pas ; je demandai son nom : c’était Robespierre. Les gens à souliers étaient prêts à sortir des salons, et déjà les sabots heurtaient à la porte.


Lorsque, avant la Révolution, je lisais l’histoire des troubles publics chez divers peuples, je ne concevais