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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

C’est dans ce parc de Kensington que j’ai médité l’Essai historique ; que, relisant le journal de mes courses d’outre-mer, j’en ai tiré les amours d’Atala ; c’est aussi dans ce parc, après avoir erré au loin dans les campagnes sous un ciel baissé, blondissant et comme pénétré de la clarté polaire, que je traçai au crayon les premières ébauches des passions de René. Je déposais, la nuit, la moisson de mes rêveries du jour dans l’Essai historique et dans les Natchez. Les deux manuscrits marchaient de front, bien que souvent je manquasse d’argent pour en acheter le papier, et que j’en assemblasse les feuillets avec des pointes arrachées aux tasseaux de mon grenier, faute de fil.

Ces lieux de mes premières inspirations me font sentir leur puissance ; ils reflètent sur le présent la douce lumière des souvenirs : je me sens en train de reprendre la plume. Tant d’heures sont perdues dans les ambassades ! Le temps ne me faut pas plus ici qu’à Berlin pour continuer mes Mémoires, édifice que je bâtis avec des ossements et des ruines. Mes secrétaires à Londres désirent aller le matin à des pique-niques et le soir au bal : très volontiers ! Les gens, Peter, Valentin, Lewis, vont à leur tour au cabaret, et les femmes, Rose, Peggy, Maria, à la promenade des trottoirs ; j’en suis charmé[1]. On me laisse la clef de la porte extérieure : monsieur l’ambassadeur est commis à la garde de sa maison ; si on frappe, il ouvrira. Tout

  1. « L’ambassadeur, dit ici M. de Marcellus, n’a jamais eu de serviteur appelé Lewis, ni de house-maid nommée Peggy. On peut m’en croire sur tous ces détails de son ménage, moi qui le tenais. Le reste est exact. » Chateaubriand et son temps, p. 48.