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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

geaient en terre de délices l’affreux rocher de Saint-Pierre :


L’isole di Fortuna, ora vedete[1].

Nous passâmes quinze jours dans l’île. De ses côtes désolées on découvre les rivages encore plus désolés de Terre-Neuve. Les mornes à l’intérieur étendent des chaînes divergentes dont la plus élevée se prolonge vers l’anse Rodrigue. Dans les vallons, la roche granitique, mêlée d’un mica rouge et verdâtre, se rembourre d’un matelas de sphaignes, de lichen et de dicranum.

De petits lacs s’alimentent du tribut des ruisseaux de la Vigie, du Courval, du Pain-de-Sucre, du Kergariou, de la Tête-Galante. Ces flaques sont connues sous le nom des Étangs-du-Savoyard, du Cap-Noir, du Ravenel, du Colombier, du Cap-à-l’Aigle. Quand les tourbillons fondent sur ces étangs, ils déchirent les eaux peu profondes, mettant à nu çà et là quelques portions de prairies sous-marines que recouvre subitement le voile retissu de l’onde.

La Flore de Saint-Pierre est celle de la Laponie et du détroit de Magellan. Le nombre des végétaux diminue en allant vers le pôle ; au Spitzberg, on ne rencontre plus que quarante espèces de phanérogames. En changeant de localité, des races de plantes s’éteignent : les unes au nord, habitantes des steppes glacées, deviennent au midi des filles de la montagne : les autres, nourries dans l’atmosphère tranquille des plus épaisses forêts, viennent, en décroissant de force

  1. Jérusalem délivrée, chant XV, stance 27.