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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

degrés plus haut, commence le paysage polaire. Si nous en croyons les voyageurs, il est un charme à ces régions : le soir, le soleil, touchant la terre, semble rester immobile, et remonte ensuite dans le ciel au lieu de descendre sous l’horizon. Les monts revêtus de neige, les vallées tapissées de la mousse blanche que broutent les rennes, les mers couvertes de baleines et semées de glaces flottantes, toute cette scène brille, éclairée comme à la fois par les feux du couchant et la lumière de l’aurore : on ne sait si l’on assiste à la création ou à la fin du monde. Un petit oiseau, semblable à celui qui chante la nuit dans nos bois, fait entendre un ramage plaintif. L’amour amène alors l’Esquimau sur le rocher de glace où l’attendait sa compagne : ces noces de l’homme aux dernières bornes de la terre ne sont ni sans pompe ni sans félicité.


Après avoir embarqué des vivres et remplacé l’ancre perdue à Graciosa, nous quittâmes Saint-Pierre. Cinglant au midi, nous atteignîmes la latitude de 38 degrés. Les calmes nous arrêtèrent à une petite distance des côtes du Maryland et de la Virginie. Au ciel brumeux des régions boréales avait succédé le plus beau ciel ; nous ne voyions pas la terre, mais l’odeur des forêts de pins arrivait jusqu’à nous. Les aubes et les aurores, les levers et les couchers du soleil, les crépuscules et les nuits étaient admirables. Je ne me pouvais rassasier de regarder Vénus, dont les rayons semblaient m’envelopper comme jadis les cheveux de ma sylphide.

Un soir, je lisais dans la chambre du capitaine ; la cloche de la prière sonna : j’allai mêler mes vœux à