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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

scène. L’ami que j’ai perdu, M. de Fontanes, laissa tomber de courageuses paroles en mémoire d’Asgill, quand Bonaparte se disposait à monter au trône où s’était assise Marie-Antoinette[1]. Les officiers américains semblaient touchés du chant de la Pensylvanienne : le souvenir des troubles passés de la patrie leur rendait plus sensible le calme du moment présent. Ils contemplaient avec émotion ces lieux naguère chargés de troupes, retentissant du bruit des armes, maintenant ensevelis dans une paix profonde ; ces lieux dorés des derniers feux du jour, animés du sifflement des cardinaux, du roucoulement des palombes bleues, du chant des oiseaux-moqueurs, et dont les habitants, accoudés sur des clôtures frangées de bignonias, regardaient notre barque passer au-dessous d’eux.

Arrivé à Albany, j’allai chercher un M. Swift, pour lequel on m’avait donné une lettre. Ce M. Swift tra-

  1. Fontanes fut chargé par le premier consul de prononcer aux Invalides, le 20 pluviôse an VIII (9 février 1800), l’éloge funèbre de Washington. Dans cet éloquent et noble discours, l’orateur, devant tous ces témoins, dont quelques-uns avaient applaudi au crime du 16 octobre 1793, ne craignit pas de faire à la reine Marie-Antoinette une allusion délicate autant que courageuse : « C’est toi que j’en atteste, disait-il, ô jeune Asgill, toi dont le malheur sut intéresser l’Angleterre, la France et l’Amérique. Avec quels soins compatissants Washington ne retarda-t-il pas un jugement que le droit de la guerre permettait de précipiter ! Il attendit qu’une voix alors toute puissante franchît l’étendue des mers, et demandât une grâce qu’il ne pouvait lui refuser. Il se laissa toucher sans peine par cette voix conforme aux inspirations de son cœur, et le jour qui sauva une victime innocente doit être inscrit parmi les plus beaux de l’Amérique indépendante et victorieuse ». Éloge funèbre de Washington, prononcé dans le Temple de Mars, par Louis Fontanes, le 20 pluviôse, an VIII.