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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

fiquait de pelleteries avec des tribus indiennes enclavées dans le territoire cédé par l’Angleterre aux États-Unis ; car les puissances civilisées, républicaines et monarchiques, se partagent sans façon en Amérique des terres qui ne leur appartiennent pas. Après m’avoir entendu, M. Swift me fit des objections très raisonnables. Il me dit que je ne pouvais pas entreprendre de prime abord, seul, sans secours, sans appui, sans recommandation pour les postes anglais, américains, espagnols, où je serais forcé de passer, un voyage de cette importance ; que, quand j’aurais le bonheur de traverser tant de solitudes, j’arriverais à des régions glacées où je périrais de froid et de faim : il me conseilla de commencer par m’acclimater, m’invita à apprendre le sioux, l’iroquois et l’esquimau, à vivre au milieu des coureurs de bois et des agents de la baie d’Hudson. Ces expériences préliminaires faites, je pourrais alors, dans quatre ou cinq ans, avec l’assistance du gouvernement français, procéder à ma hasardeuse mission.

Ces conseils, dont au fond je reconnaissais la justesse, me contrariaient. Si je m’en étais cru, je serais parti tout droit pour aller au pôle, comme on va de Paris à Pontoise. Je cachai à M. Swift mon déplaisir ; je le priai de me procurer un guide et des chevaux pour me rendre à Niagara et à Pittsbourg : à Pittsbourg, je descendrais l’Ohio et je recueillerais des notions utiles à mes futurs projets. J’avais toujours dans la tête mon premier plan de route.

M. Swift engagea à mon service un Hollandais qui parlait plusieurs dialectes indiens. J’achetai deux chevaux et je quittai Albany.